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sépulture de ces victimes, m’avoue que le chiffre de deux mille qui a été donné officiellement est inférieur de plus de moitié à la vérité. On a voulu dissimuler l’étendue du désastre. Là aussi s’étendaient les barracons où l’on entassait les coulies chinois en attendant le moment du départ pour le Pérou. On sait qu’aujourd’hui le gouvernement portugais, sur les instances de l’Angleterre, a renoncé à ce commerce ; il ne pouvait en effet se continuer avec les abus qui s’étaient introduits dans l’embauchage de ces malheureux, victimes parfois d’odieux guet-apens. Mieux eût valu, en supprimant les exactions des traitans, conserver à Macao une industrie qui n’a fait que changer de lieu et de forme et se transporter à Hong-kong.

L’heure de la musique militaire me ramène au jardin public situé au bout de la Praya ; on y voit quelques promeneurs qui ont bravé les menaces d’un ciel chargé de nuages ; mais les dames portugaises n’ont pas osé exposer leurs toilettes à la dernière mode de Paris ; quant aux Macaïstes, elles ne se rendent pas à ces réunions profanes, elles vivent presque cloîtrées ; leur costume et leurs allures les feraient prendre volontiers pour les religieuses d’un des nombreux couvens qui s’élèvent dans la ville : il paraît cependant que, lorsqu’on pénètre dans leur société, ce qui n’est guère donné qu’à leurs compatriotes, on les trouve moins farouches. Macao était même jadis une ville de plaisirs, mais la roue de la fortune a tourné, et la vie élégante a fait taire ses grelots en attendant de meilleurs jours. C’est dans la colonie purement européenne qu’il faut aller goûter, les charmes de la bonne compagnie.

J’ai la bonne chance de les rencontrer dans toute leur plénitude chez M. et Mme de M…, à la table desquels je trouve réunie l’élite du monde officiel. Rien n’égale l’aisance et la délicatesse avec laquelle on y sait accueillir l’étranger, lui parler en termes chaleureux de son pays, de ses affections ; malgré ses malheurs, la France exerce encore autour d’elle un prestige moral, une influence intellectuelle dont je n’ai jamais été plus frappé : notre littérature, nos arts, nos théâtres, Paris surtout, ce Paris magique qu’on ne peut oublier au bout du monde, façonnent l’esprit et défraient la conversation de nos voisins de langue latine. Il y a bien sans doute quelque chose d’un peu choquant à nous voir jugés par les productions les plus légères et les moins recommandables de l’esprit français ; on ne connaît guère de nos mœurs que la surface et pour ainsi dire la mousse. Paris est avant tout la capitale du luxe, du plaisir et de la gaîté qu’on y vient chercher : c’est là le souvenir que l’on emporte ; mais il est reconnaissant et vivace, et lorsque s’offre l’occasion de rendre à un Parisien un peu de cette joyeuse hospitalité qu’on a trouvée chez lui, on sait le faire avec une grâce