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lui déclarant que sur ces points il n’y a aucune transaction possible. Il m’a déclaré à son tour accepter ce programme et être prêt à prendre l’engagement de ne pas contrarier les vues du gouvernement. Il s’est borné à me demander de faire quelque chose pour l’armée méridionale. Je ne lui ai fait aucune promesse, mais je lui ai dit que je chercherais un moyen d’assurer plus complètement le sort de ses officiers. Nous nous sommes séparés sinon amis, au moins sans aucune irritation.» Encore une fois Garibaldi disparaissait pour rentrer dans son île de la Méditerranée, et de cette épreuve, un instant si menaçante, la politique de Cavour sortait plus que jamais intacte, libre, sanctionnée par le vote du parlement, par la défaite et l’éclipse de son terrible adversaire.


III.

Au moment où Cavour livrait cette dernière et décisive bataille de la raison, de la prévoyance contre l’instinct désordonné d’un héros populaire à tête vide, il était encore dans toute sa force. Il avait même paru avec une sorte d’éclat nouveau, comme dans la plénitude d’une généreuse maturité.

L’œuvre, en s’agrandissant ou en se compliquant, semblait trouver en lui d’inépuisables ressources de vigueur et d’activité. Il avait besoin de sa robuste constitution et de sa puissance d’esprit pour suffire à tout. Au même instant, il s’occupait de nouer les relations de l’Italie avec la Suède, le Danemark, le Portugal; il était dans le feu de ses négociations avec l’empereur au sujet de Rome, il suivait les affaires fort troublées de Naples; il mettait la main aux finances, à la marine du nouveau royaume, et chaque jour il était au parlement, prenant part à toutes les discussions. Il n’avait point sans doute à conquérir une majorité qui ne lui manquait pas; il avait à la diriger, à défendre son inexpérience des surprises, des votes imprudens que seul il pouvait détourner. En réalité, c’était une vie dévorante, faite pour briser le tempérament le plus énergique. La lutte avec Garibaldi avait surtout porté un rude coup à Cavour. L’effort par lequel il avait réussi à se contenir, à rester maître de lui-même au milieu de l’orage, l’avait profondément ébranlé. Les excès de travail ne pouvaient que lui être meurtriers. Encore le 29 mai il se trouvait au parlement, discutant avec animation un projet dont on voulait faire une sorte de manifestation en faveur des combattans républicains de Rome en 1849, et ce jour-là encore plus que les jours précédens il laissait voir une certaine surexcitation, une certaine impatience