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chez qui nous arrivons militairement à six heures. Nous trouvons auprès de lui le même accueil et le même cérémonial qu’auprès de son père. Le dialogue est un peu plus animé; il nous montre sa ménagerie, ses oiseaux rares, ses cailles de combat. Un instant, nous espérons que la porte du harem va s’ouvrir devant nous, mais le jeune prince s’arrête et fait volte-face, sans que notre guide ose lui en demander plus pour notre curiosité. Lieutenant-colonel dans l’armée néerlandaise, il touche annuellement des revenus fixes assez élevés sur les propriétés du domaine paternel; mais il n’en est sans doute pas absolument satisfait, car il s’informe avec beaucoup de détails du traitement que reçoivent les principales têtes couronnées. L’importance d’un état et d’un monarque se mesure évidemment pour lui à la liste civile; aussi est-il enchanté d’apprendre que le président de la république française ne reçoit que 1,200,000 fr. et que le gouverneur des Indes néerlandaises ne touche que 250,000 florins.

On met toute une après-midi pour gagner Samarang en chemin de fer, sous un ciel de feu. Il faut toute l’énergie imaginable pour tenir les yeux ouverts et prêter l’oreille aux explications d’un planteur hollandais, qui nous met au courant des questions agricoles. Le territoire des principautés est la propriété nominale de leurs souverains respectifs; mais le sultan n’exerce son droit qu’en percevant une double dîme, ou un cinquième du revenu, sur les terres qu’il garde à son compte. Quant aux autres, il en délègue l’usufruit en apanage à des fonctionnaires, princes, favoris, dignitaires, en guise de traitement ; à leur tour, ces apanagistes, ne sachant ni ne pouvant cultiver, cèdent leur droit d’usufruit, souvent pour de très longues périodes, à des concessionnaires qui s’acquittent tout d’un coup de toutes les annuités, de façon à devenir presque des propriétaires indépendans, tandis que les cédans gaspillent vite le prix qu’ils ont touché et tombent dans la misère. Toutes ces concessions sont revêtues du sceau du sultan, qui perçoit à cette occasion un droit élevé dont il fait une source de revenu. Ce système a donc pour résultat d’appauvrir la caste seigneuriale au profit des planteurs hollandais et d’enrichir le sultan, dont le trésor, rempli de diamans et de pierreries, grossit toujours; c’est à la direction de ces services financiers qu’il s’adonne presque exclusivement, consacrant le moins possible aux dépenses d’intérêt public, comme les routes qu’on l’oblige cependant d’entretenir tant bien que mal. Quant aux autres prérogatives de la souveraineté, telles que la police, l’emploi de la force armée, la justice, elles sont entre les mains du résident hollandais, placé dans chaque principauté, qui ne se fait pas faute en outre de surveiller la conduite du monarque. Il ne dispose que d’un petit nombre de soldats; mais grâce au chemin de