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fer et au télégraphe que le gouvernement néerlandais a établis dans les territoires indépendans, avant même de les construire chez lui, il est facile de concentrer rapidement sur un point donné des forces considérables, de sorte que princes et sujets sont enfermés dans un savant réseau d’où ils ne peuvent sortir.

De leur côté, les planteurs concessionnaires, afin de se procurer la main-d’œuvre à bon marché, abandonnent à la population indigène une quantité de terre suffisante pour la nourrir par la culture du riz, en échange d’une quantité de travail fixe qu’ils utilisent pour leurs plantations de café, de sucre, d’indigo, de muscade, etc. Cette corvée est fixée, en souvenir de la double dîme d’autrefois, à un jour de travail sur cinq par individu, ou, ce qui revient au même, un cinquième de la population travaille chaque jour pour le maître. C’est au bekel ou chef de village qu’incombe le devoir de pousser à la corvée les naturels, souvent récalcitrans, et s’il s’en acquitte mal, le planteur, usant des droits seigneuriaux que comporte la concession, peut le révoquer et le remplacer; malheureusement ce despotisme local, ici comme ailleurs, n’engendre que des abus; le planteur essaie de surmener la population qui lui est soumise, elle se révolte, ou, ce qui est pis, elle émigré en masse ; c’est alors que survient le Chinois, qui fait ses offres de service, loue ses bras, travaille mieux et à meilleur marché que l’indigène, et pullule déjà dans les deux états de Sourakarta et de Djokdjokerta.

L’agriculture est la seule richesse de cette partie de Java; en dehors des arts nécessaires aux premiers besoins de l’homme il n’existe pour ainsi dire pas d’industries locales, car les kriss modernes ne sont que de grossières contrefaçons des vieilles lames. Il faut cependant faire une exception pour les sarongs, ces jupes d’indiennes pour la teinture desquelles Solo et Djokia sont célèbres. Le tissu arrive des Indes, mais c’est à Java qu’il est enrichi, par un procédé particulier, de ces dessins fantastiques aux vives couleurs qui lui donnent un prix considérable. Ce sont les femmes qui se livrent à cette opération, suivant un procédé comparable à celui de la gravure à l’eau-forte; elles promènent sur l’étoffe le bec d’un entonnoir rempli de cire fondante, de manière à laisser découvertes les parties qui doivent recevoir la teinte, puis elles plongent le tissu dans la couleur, d’où il sort imprégné d’un premier dessin ; une seconde couche de cire et une seconde trempe donnent un autre dessin de couleur différente; on peut varier ainsi à l’infini. Un beau sarong ne se vend guère moins de 20 florins et peut atteindre 100 florins : la couleur ainsi étendue résiste à tout lavage; l’industrie européenne a essayé d’imiter par l’impression ces produits manufacturés, sans réussir à tromper l’œil le moins exercé.