Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’objectera sans doute qu’une religion ne vaut que par sa morale, par les préceptes qu’elle édicté, je m’arrêterai un instant encore devant la stèle qui porte le n° 73 au catalogue de Boulaq. On lit sur le listel de la corniche supérieure une inscription hiéroglyphique qui fait parler ainsi le défunt, toujours d’après le Rituel : « Je me suis attaché Dieu par mon amour; j’ai donné du pain à celui qui avait faim, de l’eau à celui qui avait soif, des vêtemens à celui qui était nu; j’ai donné un lieu d’asile à l’abandonné... » Ne voilà-t-il pas une page de l’Évangile détachée bien des siècles à l’avance? Notre respect filial serait déjà justifié quand il ne connaîtrait de ce peuple que ce rébus sur une pierre, d’où est sortie la source de notre civilisation.


V.

On pressent qu’une race armée d’une religion, d’une littérature et d’un art aussi vigoureux, avait atteint un état social fort avancé. Nos courtes connaissances en histoire générale ne permettent pas encore de se prononcer sur le bien fondé des thèses qui placent la barbarie à l’origine du genre humain; nous ignorons trop à quel degré de recul il faut porter cette origine. Du moins la trouée lumineuse que les monumens égyptiens ouvrent sur le passé n’apporte aucune force à ces thèses. La plus ancienne société connue apparaît jusqu’ici comme une des plus parfaites. Il suffit de descendre dans un des grands tombeaux de Saqqarah pour s’en convaincre. Cette société est là qui passe sur le mur, vivante, avec son double caractère agricole et féodal. Sa pyramide lui servirait bien d’image. À la base, un peuple nombreux et laborieux, travaillant cette magnifique terre d’Egypte; aux degrés intermédiaires, les possesseurs du sol et les prêtres; au sommet, le pharaon, reliant de sa forte main tout l’édifice, dans l’unité du pouvoir le mieux assis qui fût jamais. La multiplicité et la perfection des représentations murales à Saqqarah permettraient de raconter la vie de cette société dans ses détails les plus familiers : je ne peux résumer ici que les grands traits qui la caractérisent et la distinguent de toute autre société antique. Son isolement frappe tout d’abord. Elle vit rigoureusement renfermée dans l’oasis de la vallée du Nil, tire toutes ses ressources de cette terre privilégiée et semble ignorer le reste du monde, ignorer l’Asie sa voisine, à laquelle son existence sera plus tard si intimement mêlée. Non-seulement ses idées, ses croyances, ses arts, mais sa vie matérielle, ses besoins, jusqu’à ses végétaux et ses animaux sont exclusivement égyptiens. Ce serait