c’est la souveraine philosophie de ce peuple : édifié sur l’inanité de la vie en face de l’éternité, il a passé son existence à songer à la mort et à la préparer.
Ainsi, dans ces pensées graves, coulent les jours d’étude à Saqqarah, et nulle part l’esprit ne vit d’une vie plus intense que dans ces tombeaux toujours féconds en révélations nouvelles. Le soir, quand la nuit nous rappelait en jetant son linceul sur leurs murs, nous nous réunissions dans la petite maison du désert que M. Mariette a gardée des jours de lutte et de recherches d’il y a vingt-cinq ans. — Nous y rapportions parfois une momie trouvée dans un puits récent, c’est-à-dire d’époque saïte ou grecque (car il n’en existe plus de l’ancien empire), et l’on se mettait à dépecer le pauvre cadavre sous la direction du maître pour chercher les scarabées que les défunts gardaient sur leur cœur, promesse de la résurrection espérée. Le plus souvent c’était une femme, contemporaine de Cléopâtre. Quand on avait déroulé les milliers de bandelettes, la morte apparaissait nue dans sa robe de bitume, avec ses formes grêles, amincies et séchées durant les siècles d’ensevelissement. C’était bientôt fait de briser ses membres et de conquérir notre proie. Ses petites mains dorées selon le rite, son crâne où les yeux durcis tenaient encore dans l’orbite, étaient posés sur le parapet de la terrasse, près du royal et souriant sphinx d’Apriès. On a, de ce point, une échappée de vue soudaine entre les collines de sable, qui montre dans le lointain, gai mirage aux rayons de la lune, la verte vallée du Nil, les forêts de palmiers, les blanches mosquées du Caire sur le Mokattam. Le masque noirci, éclairé par les lampes, riait à ses profanateurs, au désert des tombeaux, à ces plaines éternellement jeunes et fécondes, où elle avait joué enfant, à ces bois où s’étaient égarées ses rêveries de jeune fille, à cette ville nouvelle qui avait remplacé la sienne ; elle riait et semblait dire : « Je sais les secrets de la mort ; ceci aussi passera, ceci aussi mourra, ceci aussi sera profané un jour par des mains indifférentes ; je sais les secrets de la mort, pauvres enfans, qui auriez remué le monde pour votre folie, quand j’avais un pouce de chair sur ces pauvres os, qui les déchirez aujourd’hui que le bitume les soutient seul, qui serez poussière comme eux demain. » Elle parlait ainsi longtemps, la morte, de mille choses sévères et sages. On devine quelles vives impressions naissent de ces communications presque matérielles avec ces ancêtres ; c’est une grave jouissance à Saqqarah de s’y perdre en toute solitude, à cette heure où la majesté de la nuit ajoute encore à celle du passé et du désert. Ces pensées vont s’agrandissant à mesure qu’on y associe celles de toutes les générations qui peuplent l’immense nécropole, des hommes d’il y a six