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L’armée républicaine tenta vainement pendant trois semaines de déloger son invincible ennemi. Dans le bourg, les hommes tombaient, les maisons s’écroulaient, la famine faisait ses ravages : Antoine Jurançon refusait de se rendre. Le siège de cette poignée d’hommes durait depuis vingt-cinq jours, quand le chef de la demi-brigade républicaine proposa une capitulation honorable. Il assurait aux chouans la vie sauve. Antoine répondit par cette simple parole : « Je bramerais la faim que je ne me rendrais pas ! »

Bien lui en prit ; le prince de Talmont, qui commandait en chef la cavalerie vendéenne, tomba une belle nuit sur la demi-brigade, la mit en déroute, et ramena en triomphe ce qui survivait des assiégés. Antoine y gagna, sans compter la gloire, l’amour d’une jeune fille de haute lignée qui ne craignit pas d’épouser ce paysan. Il est vrai qu’en faveur de ce mariage Louis XVIII, du fond de son exil, envoya au chouan des lettres de noblesse ; seulement le futur roi de France avait de l’esprit et de l’imagination : il craignit pour son protégé Jurançon ce nom de vignoble, et l’autorisa à s’appeler M. de Bramafam, en souvenir de son héroïque réponse. Bramer la faim, Bramafam : il y a des étymologies moins belles que celles- là. M. de Sairmeuse mourut sans héritier en 1817, léguant à l’intendant devenu gentilhomme son titre de marquis et sa fortune considérable.

— Et surtout, dit-il à Antoine à son lit de mort, je te défends de joindre mon nom de Sairmeuse à ton nom de Bramafam. Je ne te laisse que le titre. Je suis le dernier de ma race : tu es le premier de la tienne. Tu n’y gagnerais pas !

Loïc de Bramafam était le petit-fils du Vendéen ; son mariage avec une bourgeoise ne devait donc pas étonner beaucoup. La noblesse française a généralement des idées étroites : l’aristocratie anglaise est plus large, c’est le secret de sa force et de sa durée. Quand elle rencontre d’aventure un Henry Bulwer, elle s’empresse de l’adopter, change le roturier en gentilhomme, et en fait lord Lytton. En France, c’est le contraire. Bien peu avaient pardonné à Loïc la modestie de son origine : il n’était encore que la troisième génération, et on ne l’oubliait pas.

Si pourtant ce qu’on est convenu d’appeler le faubourg Saint-Germain s’était donné rendez-vous dans la nef de Sainte-Clotilde, le jour de ce mariage, c’est qu’un intérêt particulier s’attachait au jeune marquis. Agé de vingt-huit ans, riche d’un patrimoine que cette union allait doubler, joli garçon, intelligent, fin et généreux, Loïc faisait rêver plus d’une grande dame. La chronique prétendait même qu’il en avait éveillé plus d’une de ce rêve-là. Orphelin à vingt ans, il avait passé comme un tourbillon dans la vie parisienne ; les premières, représentations ne connaissaient pas de spectateur