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plus assidu, et souvent on l’y avait vu en mauvaise compagnie. Au physique, on eût pu tracer son portrait en une ligne : c’était un Henri III blond. On s’étonnait toujours de ne pas voir une fraise à son habit noir. Il avait eu deux ou trois duels dont il s’était tiré à son honneur, grâce à son tempérament propre à tous les exercices du corps.

Il est facile de concevoir qu’avec une vie de plaisirs si largement ouverte, Loïc n’avait pas de lui-même songé au mariage ; mais un autre s’était chargé d’y penser pour lui. Cet autre était le seul parent qui lui restât, son oncle maternel, le général du Halloy.

— Veux-tu te marier ? lui avait-il dit un beau matin. Ne te récrie pas. J’ai ce qu’il te faut. Rappelle-toi que ton pauvre père, en mourant, eut comme désir suprême que tu prisses femme de bonne heure, pour que son nom fût continué dignement.

Loïc vénérait la mémoire de son père ; le général usait donc du meilleur des argumens. D’ailleurs ce n’était pas l’habileté qui manquait à ce vieillard aimable, qui était en 1869 un des types les plus curieux du monde parisien. À vrai dire, il ressemblait plus à un don Juan vieilli qu’à un soldat. Petit, coquet, se haussant toujours sur la pointe des pieds pour paraître plus haut, à l’affût du plus mince scandale pour en rire à son aise, le général avait beaucoup d’esprit et d’entrain. Il aimait les jeunes gens « parce que, disait-il, il faut toujours fréquenter ceux de son âge. » Il n’avait eu qu’un chagrin dans sa vie : sa femme, longue et maigre créature qui se croyait poétique, et murmurait à chaque instant une phrase d’un de ses auteurs favoris. L’existence était pour elle un prétexte éternel à citations. Ce ménage original aurait excité la médisance, si le général n’eût fait un exemple sévère. Un soir, au cercle, entendant un de ses voisins railler ses soixante-cinq ans prétentieux et les airs langoureux de Mme du Halloy, il s’était avancé vers le moqueur et lui avait dit, sans se fâcher et d’un ton leste, non exempt de dignité :

— Monsieur, je reconnais que, ma femme et moi, nous sommes ridicules ; mais je n’aime pas qu’on en parle. — Le lendemain, il donnait au mauvais plaisant un coup d’épée qui le tuait net.

Loïc aimait beaucoup son oncle. Aussi répondit-il au général :

— Vous voulez me marier ? Soit. Après tout, ces plaisirs, toujours les mêmes, me lassent ; si j’attends trop, je tomberai mal.

— Comme moi ; mais sois tranquille : il n’y avait que ta tante sur la terre, et je l’ai épousée ! Je t’ai assuré que j’avais ton affaire, et ne m’en dédis pas. Il existe de par le monde une jeune fille modèle ; elle est orpheline et riche, elle a été élevée comme il convient par sa tante, que je connais un peu. Cela te va-t-il ?

La présentation se fit dans les premiers jours d’août. — Loïc