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et sur les pentes glissantes, semblait tendre vers nous ses longs bras noueux. Il se découpait sur le ciel avec son dos voûté, sa chevelure pendante et sa barbe mousseuse, absolument comme notre Juif, mais se cramponnait solide et ferme à la pierre, comme lui aussi sait s’accrocher énergiquement à ce que ses mains maigres et osseuses ont une fois saisi.

Nous descendîmes rapidement par un chemin tapissé de myrtilles et de rhododendrons, notre chien respirant péniblement derrière nous, et nous entrâmes sous le dôme vert des sapins. Le fracas amoindri d’une cascade lointaine nous tenait compagnie. Les hauts panaches verts qui s’élançaient vers le ciel avec une majesté lugubre commençaient à s’amalgamer avec un horizon d’or rougi, tandis que de leurs troncs élancés s’échappait du jus résineux à la couleur ambrée. Des baies d’un rouge de pourpre, de grandes fleurs des bois dessinaient des broderies multicolores sur le velours des mousses qui s’étendaient dans l’entre-croisement des racines, et des ombres profondes tombaient d’en haut sur les branches, comme des gouttes noires, entre les aiguilles immobiles.

Pendant quelques instans encore, de petits nuages baignant dans le rose planèrent à l’occident ; puis une raie de pourpre s’allongea à l’horizon. Au-dessus du sol tremblotait un air doux où voletaient d’innombrables petites mouches, transparentes comme du verre filé, et des vapeurs qu’on aurait prises pour des voiles blancs d’une étoffe impalpable montaient en reflets brillans de la vallée tranquille et déjà plongée dans la nuit. Les buissons, les arbres, les montagnes, semblaient croître dans l’atmosphère dorée et se perdre dans l’infini, tandis qu’ils allongeaient leurs ombres toujours plus loin. À l’ouest, une étoile brillait sur les sapins, qui se dressaient dans le ciel comme de noires épées ou comme une grille de fer autour d’un parc. Les chants des oiseaux avaient cessé. Çà et là seulement, un bruit sifflant perçait dans le bois mort et quelque animal effrayé fuyait dans les branches. Le ciel blanchâtre était devenu bleu et s’assombrissait par degrés. Les ombres se rapprochèrent et se confondirent enfin dans les ténèbres dont la masse impénétrable s’épaississait lentement. À ce moment, nous avions atteint le pied des collines boisées, et nous suivions un sentier étroit qui serpentait entre des champs de vaine pâture et de pommes de terre. Soudain, l’intervalle sombre de deux rochers s’illumina du côté de l’ouest et se mit à flamboyer comme si le feu était à quelque village ; puis, après un moment d’attente, la lune démasqua son disque d’or suspendu majestueusement dans l’obscurité du ciel, et répandit sur la campagne sa douce lueur consolante. Un courant d’air frais passa sur les tiges, les herbes, les feuilles des arbres et les cimes lugubres de la forêt de sapins ; tout commença à fourmiller, à s’agiter,