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ruisseaux de vieux saules décrépits, crevassés, à qui il ne reste plus que l’écorce; ils ne laissent pas de se couronner chaque année de nouvelles pousses, et ce sont de vraies pousses, lesquelles se couvrent de feuilles, et ce sont de vraies feuilles. Les vieux saules ont de subites remontées de sève et des printemps inattendus, miraculeux. Le mahométisme prouve sa vitalité non-seulement par l’insurmontable résistance qu’il oppose à tous les efforts des missionnaires chrétiens pour l’entamer, mais encore par les nouvelles conquêtes qu’il a faites et qu’il fait tous les jours. Il a poussé plus avant dans l’Asie centrale, détaché de la Chine cette vaste province qu’on appelle la Tartarie chinoise ou le Turkestan oriental, et ajouté un nom nouveau à la liste des royaumes musulmans. Il a fait des progrès bien plus considérables encore dans l’intérieur de l’Afrique, où il se répand d’année en année, progrès utiles à l’humanité, car il détruit partout le fétichisme, la sorcellerie, les sacrifices humains. Les voyageurs reconnaissent qu’il a prisé sur des populations réfractaires au christianisme et qu’il leur fait subir une heureuse transformation ; ils avouent que le nègre mahométan est le plus souvent supérieur en moralité au nègre chrétien, parce que Mahomet seul a trouvé le secret d’empêcher le nègre de boire. L’islamisme, a-t-on dit, a institué en Afrique une vaste société de tempérance ou plutôt de totale abstinence, qui s’étend aujourd’hui des bords du Nil jusqu’à la Sierra-Leone[1].

La religion de Mahomet n’est pas morte, et l’empire du croissant vit encore. On a déjà conduit plus d’une fois son enterrement, mais le cercueil était vide, et le malade a regardé passer le convoi en fumant son chibouck, en buvant son café ou en mangeant des confitures aux roses. Après M. Gladstone et tant d’autres publicistes, M. Emilio Castelar vient de s’écrier à son tour dans son langage harmonieux et sonore : — « Une religion qui se meurt, une race qui se consume, un empire qui s’éteint dans une vieillesse prématurée, voilà le bilan de la Turquie[2]. » Après avoir dressé l’acte de décès, il a fait, lui aussi, le partage de la succession. Il veut faire de Constantinople, « avec ses jardins, avec ses cent temples, avec ses bazars et ses marchés, avec sa population babylonique où se confondent toutes les races, où se parlent toutes les langues, la capitale du monde, et comme capitale du monde, une cité anséatique, municipale, libre, sans douanes et sans rois, garantie par toutes les puissances, administrée par toutes les races, île de paix, isla de paz, sereine au milieu des rivalités guerrières, qui servira de point d’intersection aux continens, de foyer lumineux à l’esprit humain. » Pour créer ce foyer lumineux, l’éloquent orateur, chevalier courtois et sans reproche de la démocratie, supprime d’un trait de plume non-seulement l’empire

  1. Mohammed and Mohammedanism, by R. Bosworth Smith, London 1876, p. 36-57.
  2. La Cuestion de Oriente, por D. Emilio Castelar, Madrid 1876,