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cupation par des troupes neutres, puis à une gendarmerie plus ou moins européenne, puis à une force armée d’Ottomans et de chrétiens. Le général Ignatief a consenti à ces atténuations successives dans l’intérêt d’une action commune, que les autres plénipotentiaires se sont efforcés à leur tour de faciliter et de maintenir par toute sorte de concessions à la Russie. C’est là le vrai succès de la conférence de Constantinople ; c’est à ce point de vue que sir Stafford Northcote a pu dire ces jours derniers : « En comparant la situation actuelle, j’entends la situation générale, avec la situation dans laquelle se trouvait l’Europe au moment où il fut pour la première fois question de la conférence, il est facile de s’apercevoir que nous avons fait un grand pas en avant. » Ce pas en avant, c’est la possibilité des solutions pacifiques à la place de la fatalité de la guerre, c’est la réflexion laissée à la Turquie comme à ses adversaires, Serbes et Monténégrins, par une prolongation d’armistice de deux mois, c’est l’entente de l’Europe substituée à l’incohérence de toutes les politiques, et il est bien clair qu’il y a là une première garantie contre l’imprévu toujours menaçant, que sous ce rapport la conférence n’a point entièrement échoué.

Que les plénipotentiaires de l’Europe réunis à Constantinople pour la sauvegarde de la paix occidentale au moins autant que pour la réformation de l’Orient aient songé avant tout à détourner des complications plus graves, qu’ils aient mis d’abord tout leur zèle à désintéresser ou à conquérir la politique russe, c’était peut-être pour eux une nécessité du moment et de la situation. Ils ne pouvaient rien faire sans la Russie et ils ne pouvaient avoir la Russie sans lui assurer une satisfaction plus ou moins complète. Le programme primitif de la conférence n’était visiblement que l’expression de cette pensée. Extension de territoire pour le Monténégro et même un peu pour la Serbie, autonomie équivalant à une sorte d’indépendance pour la Bosnie et l’Herzégovine comme pour la Bulgarie, garanties équivalant à la confiscation de la souveraineté de la Porte par l’intervention directe, plus ou moins temporaire, de l’Europe, tout y était. Ces propositions respectaient ou dépassaient les traités, elles étaient bonnes ou mauvaises, efficaces ou dangereuses, peu importé, nous ne les discutons pas. Au point de vue du succès définitif qu’on poursuivait, elles n’avaient qu’un malheur : elles ne tenaient aucun compte de la Turquie appelée à payer les frais de la négociation, à rester le théâtre de cette expérimentation diplomatique.

On n’a pas pris garde évidemment à deux circonstances : la première, c’est que Constantinople n’était probablement pas la ville la mieux choisie pour une représentation à laquelle on voulait donner ce caractère. Aller dans la capitale d’un empire, dans la maison même d’un souverain, et disposer chez lui, sans le consulter, de ses droits, de ses prérogatives, décréter des divisions de provinces, des formes de justice ou d’administration, fixer jusqu’à des détails d’impôts, franchement, c’était un procédé