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paru avec l’approbation de la censure; l’autre a, pour la Société impériale de Géographie russe, rassemblé dans la région du sud-ouest de l’empire sept volumes de matériaux ethnographiques et statistiques, qui pour la plupart ont été imprimés à Pétersbourg aux frais du gouvernement, et ont valu à leur auteur des récompenses scientifiques en Russie et au Congrès géographique de Paris.

Les défiances de la censure russe vis-à-vis de la Petite-Russie n’atteignent pas seulement ainsi la langue et les hommes, mais l’érudition et la science. La Société impériale de Géographie russe, dont les travaux sont justement admirés de tout le monde civilisé, avait fondé en 1873 une section spéciale pour l’étude des provinces du sud-ouest, c’est-à-dire de la Petite-Russie. Or après trois ans d’existence, alors qu’elle avait déjà publié des documens de toute sorte, statistiques, ethnographiques, archéologiques, historiques, cette section de la société officielle vient d’être dissoute. On voit jusqu’où, dans un état absolu, sous un souverain à l’esprit libéral, peut aboutir l’omnipotence d’une bureaucratie centraliste et niveleuse. Il y a quelques années à peine, lors du congrès archéologique tenu dans la gracieuse capitale de la Petite-Russie, à Kief, tout autres semblaient les dispositions du gouvernement et de la presse russes pour cette belle contrée de l’Ukraine, et le moment choisi pour le retour aux sévérités est celui où les feuilles moscovites prêchent une sorte de croisade pour les Slaves du Balkan.

Je n’insisterai pas sur la contradiction, je ne l’aurais même peut-être pas signalée, si l’on n’en tirait souvent à l’étranger des conclusions fausses et illogiques. Les écrivains turcophiles trouvent dans les inconséquences de l’administration russe un motif de maintenir les Bulgares et les Bosniaques sous l’administration musulmane; les rigueurs de la Russie sur la Vistule ou le Dnieper leur font crier à la duplicité et à la mauvaise foi moscovites. Ce n’est point là raisonner très juste. Si le cabinet de Pétersbourg voulait jouer l’Europe et duper les Slaves du Balkan, il s’y prendrait d’une autre manière : il ne choisirait pas, pour de nouvelles mesures de répression en Pologne et en Petite-Russie, le moment où il a besoin de gagner les sympathies des Bulgares et des Serbes. Il faudrait trop d’aveuglement pour compter sur de pareils procédés de propagande parmi les Slaves du dehors. Si le panslavisme a des adeptes en Russie, la censure et la police impériales se chargent elles-mêmes de dépopulariser cette utopie et de désillusionner les Slaves non encore soumis à la domination russe. À ce point de vue, les sévérités excessives du centralisme moscovite sont peut-être un avantage ou une garantie pour l’Europe; elles enlèvent aux rêves du panslavisme toute séduction et par suite toute chance de succès. Pour résister aux incantations d’une telle sirène, les Slaves de l’Orient n’ont pas besoin de s’enduire les oreilles de cire. Une Russie libérale et décentralisée,