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Le lyrisme de Shelley ressemble tout aussi peu à de la poésie populaire qu’un quatuor de Beethoven à une chanson des campagnes; mais il n’en est pas moins un poète spontané. C’est un habitué des hautes régions qui ne s’adresse qu’à ceux qui veulent l’y suivre, mais dont l’idiome natal est une langue exquise, choisie, étincelante; il la parle comme son langage naturel, avec une aisance parfaite, sans ombre d’apprêt, uniquement occupé à rendre sa pensée. Sa langue, puisée aux meilleures sources, n’est cependant qu’à lui : nul n’a su donner à l’anglais tant de souplesse, de fluidité mélodieuse et faire comme lui de cette langue si peu musicale à l’oreille de l’étranger une musique aussi enchanteresse. La surabondance des images ne provient pas chez lui d’une imagination désordonnée, elle naît d’une pensée ardente qui veut pénétrer au cœur des choses. Tandis que d’autres nous peignent leur forme extérieure et leur apparence, il en voit le fond, il en boit l’âme, et quand il s’en est bien rempli, il se livre souvent à une véritable effulguration de métaphores. Cela va parfois jusqu’à l’éblouissement: mais l’idée est presque toujours claire, le sentiment toujours énergique. Son défaut n’est pas la pénurie, c’est l’excès du sentiment et de la pensée qui enflamme et entraîne son vers. Pour saisir cette pensée au vol, pour surprendre le libre essor de cette âme, il nous faut écouter son chant sur l’alouette (skylark).


« Salut à toi, esprit vivace, — oiseau tu ne fus jamais, — toi qui, du haut des cieux ou près de la terre, précipites à plein cœur tes chants improvisés en longs torrens de mélodie.

« Plus haut, toujours plus haut, tu jaillis du sol; tu perces le profond azur comme un nuage de feu; en chantant tu t’élances, et t’élançant tu chantes toujours.

« Dans la lumière dorée du couchant, dans l’éclat des nuages qui l’environnent, tu flottes et nages, tu es la joie même, la joie vivante dans son premier essor.

« Dans la pourpre pâle du soir se baigne ton vol ; tu vas t’y fondre comme l’étoile se fond dans la clarté du grand jour; mais, quand mes yeux ont cessé de te voir, j’entends ton cri délirant.

« Tu chantes comme un poète caché dans la lumière de sa pensée chante d’élan des hymnes spontanés jusqu’à ce qu’il entraîne le monde à la sympathie pour des espérances et des craintes que personne ne soupçonnait.

« Esprit ou oiseau, dis-nous quelles sont tes douces pensées. Je n’ai jamais entendu louange d’amour ou dithyrambe dont la strophe palpitante ait répandu le flot d’un si divin ravissement.

« Les chœurs d’hyménée, les chants de triomphe ne sont auprès du tien qu’une parade vénale, une pompeuse vanité rongée de secrète misère.