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« PANTHÉA. — Écoute ! les esprits parlent.

« UNE VOIX, chantant dans l’air. — Vie de la vie ! tes lèvres allument de leur amour le souffle qui s’en échappe, et tes sourires, avant de s’évanouir, font courir des flammes dans l’air frais. Oh, détourne tes yeux ! Quiconque les voit tombe enlacé, évanoui dans le réseau de tes regards.

« Fille de la lumière ! tes membres rayonnent à travers les vêtemens qui semblent les cacher comme les lignes radieuses du matin à travers les nuages avant qu’il ne les divise, et la plus divine des atmosphères te revêt partout où tu reluis.

« Lampe de la terre ! où tu marches, ses ombres épaisses s’emplissent de rayons et les âmes de ceux que tu choisis voguent légères sur l’aile des vents jusqu’à ce qu’elles tombent, comme je tombe enivrée, éperdue, mais sans regret. »


Cette voix n’est-ce pas celle du génie de la musique s’adressant à l’âme de l’Amour qui s’éveille avec Asia au sein de l’humanité ? La réponse de la belle Océanide est peut-être ce que la poésie a dit de plus beau sur la musique.


« ASIA. — Mon âme est comme un merveilleux esquif, — elle flotte pareille au cygne dormant — sur les vagues d’argent de ton chant suave. — La tienne veille au gouvernail — comme un ange me guidant sur les flots, — tandis que tous les vents ruissellent de mélodie. — Ainsi nous suivons à jamais, à toujours, — le fleuve aux infinis méandres, — entourés de montagnes, de forêts et d’abîmes, — un paradis de solitudes sauvages ! — Enfin, comme enchaîné par un divin sommeil, — je glisse à l’Océan et je m’engouffre au fond — d’une mer sans limite d’éternelle harmonie.

« Mais déjà ton esprit par ses ailes aspire — les célestes concerts de plus sereins royaumes — buvant les souffles de ces bienheureux déserts. — Et nous cinglons à la dérive — au loin, sans but et sans étoile, — mais traînés par les fils de voix éoliennes. — Quelles sont ces îles élyséennes ? — O toi, le plus beau des pilotes, — où va la barque de mon désir ? — Quel est le flot que fend ma proue ? — L’air qu’on respire en ces royaumes n’est qu’amour. — Il frémit dans les vents, il se meut dans les ondes. — Il règne ! il joint la terre au ciel que nous sentons.

« En remontant son cours nous repassons la vie. — Cavernes glacées de la vieillesse — flots rugissans de l’âge mûr, — doux océan de la jeunesse qui sourit pour tromper. — Nous fuyons à travers les mirages — de l’enfance peuplée de fantômes, — à travers la naissance et la mort — nous voguons vers un jour plus divin. — Quel paradis m’accueille enfin ? — Berceaux se voûtent sur berceaux, — à la lumière de fleurs immenses — qui se contemplent dans les ondes. — Des lacs étincelans se perdent dans la splendeur des forêts vierges. — Les êtres qui les peuplent éblouissent ma vue. — Arrêtons-nous ici; car je vois quelque