Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/808

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’expliquer à leur façon. Suivant eux, leur bataillon venait à peine d’être relevé, après les fatigues de la nuit et du jour précédent, et ils ne songeaient qu’à se reposer; les Alavais, à qui revenait la garde, furieux de combattre hors de leur pays, auraient cédé sans vergogne aux premiers coups de feu. Le fait est qu’à l’intérieur de la redoute même, lorsque déjà les libéraux y pénétraient de toutes parts, les Navarrais tentèrent de résister à la baïonnette; puis, jugeant la partie perdue, bon nombre se précipitèrent en bas des rochers; quelques-uns se sauvèrent grâce à leur agilité merveilleuse, malgré l’effroyable chute et les balles qui les poursuivaient; d’autres, moins heureux, parvinrent jusqu’à un torrent voisin et s’y noyèrent. D’ailleurs, si les Alavais sont pris à partie, le commandant Calderon n’est pas plus épargné; l’opinion publique est unanime sur son compte; il a trahi, lui aussi. À ce propos, je me rappelle certain petit couplet qui se chante dans tout le pays :

Ellio a vendu Bilbao
Et Mendiry le Carrascal,
Calderon le Monte-Jurra,
Et Perula... ce qui restait.

Triste manie des vaincus, — nous en avons souffert nous-mêmes, — de crier toujours à la trahison et de ne chercher les causes de leur défaite que dans l’indignité des chefs 1 Dans leur impatience de combattre, les Navarrais ne songeaient qu’à courir en avant; ils ne comprenaient rien aux marches et aux contre-marches. Aux derniers jours de la guerre, quand, sur l’ordre formel de don Carlos, qui avait résolu de concentrer la résistance dans la Haute-Navarre et le Guipuzcoa, Perula eut abandonné Estella avec la plus grande partie des bataillons qui la défendaient, le découragement et la colère furent extrêmes dans le peuple. L’histoire dira peut-être un jour si réellement quelques offres furent faites et acceptées, des conventions établies ; en principe il faut rejeter ces accusations banales qui ne tendraient à rien moins qu’à rabaisser la victoire des uns en enlevant aux autres le mérite de la résistance. Les généraux carlistes ont commis des fautes; plusieurs, comme Perula le notaire ou Calderon le fils du banquier, ne connaissaient ni peu ni prou l’art militaire. Est-ce à dire qu’ils se soient vendus, et leur intérêt même n’était-il pas de vaincre? A tout prendre, eussent-ils été bien plus habiles et beaucoup plus savans, la partie était trop inégale entre l’Espagne entière et les quatre provinces du nord ; tôt ou tard la lutte devait finir par l’écrasement complet du parti carliste. J’ai pu voir don Carlos Calderon à Tudela où il était retenu prisonnier : l’œil ferme, la voix haute, les traits ouverts, il n’a rien de la figure