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ou des façons de traître. Comprend-on d’ailleurs cet homme qui, sans parler des dangers courus, aurait compromis une immense fortune et dépensé 7 ou 8 millions en faveur de don Carlos pour le seul plaisir d’être ensuite marchandé par les libéraux?

En bonne conscience, si l’on devait s’en prendre à quelqu’un de l’échec de l’insurrection, ce ne sont pas des généraux plus ou moins incapables, mais dévoués, c’est don Carlos lui-même qu’il faudrait mettre en cause. Qu’on lise le dernier numéro du journal carliste officiel, el Cuartel real, publié à Tolosa le 17 février, la veille même de la prise du Monte-Jurra ; tous les articles d’un bout à l’autre expriment le même vœu et la même espérance : « Que notre roi monte à cheval, qu’il veuille bien se montrer à la tête de ses troupes, et du même coup l’ennemi sera balayé. » Le roi n’en fit rien. Sans doute à ce moment il était trop tard, mais que serait-il arrivé deux ans plus tôt, alors que le trône était vide à Madrid, que les communistes arboraient dans Carthagène leur odieux drapeau, que le faisceau si péniblement rattaché des provinces espagnoles était près de se rompre, que serait-il arrivé, le sait-on? si don Carlos eût osé faire tout ce que ses fidèles attendaient de lui?

A Dieu ne plaise que nous insultions jamais au malheur; d’ailleurs le duc de Madrid est maintenant l’hôte de la France, et cela seul lui serait un titre à nos respects; mais il ambitionnait une place dans l’histoire et désormais il l’aura. « Vainqueur ou vaincu, aurait-il dit en mettant le pied sur la terre d’Espagne, je veux que cette guerre soit une épopée ! » Singulière odyssée, en vérité, celle qui commence à Oroquieta pour finir à Peña-Plata. Ardent au plaisir comme la plupart des Bourbons, il a trop oublié ce qu’exigeait de lui ce rôle si difficile de prétendant. Puente-la-Reyna, Elizondo, Estella, toutes ces pauvres villes si dévouées, qui tour à tour lui servirent de résidence, gardent encore le souvenir des fêtes et réjouissances où s’endormait sa joyeuse petite cour, et ce ne sont point ses partisans les moins sincères qui en parlent aujourd’hui avec le moins d’amertume. Certain jour, un vieillard aux convictions bien connues se présente devant le quartier royal, à Durango, et demande à parler au roi. Il avait besoin d’un sauf-conduit pour voir son fils, capitaine au titre carliste, tué plus tard dans le Carrascal. On le fait attendre un peu, car à onze heures et demie don Carlos était encore au lit, et comme, introduit enfin auprès de sa majesté, il ne pouvait déguiser sa surprise, presque son mécontentement : « Que veux-tu, père? dit le prince avec cette familiarité des monarques espagnols envers leurs féaux sujets, je me sentais un peu fatigué ; nous avons beaucoup dansé hier au soir. » Et pendant ce temps le canon grondait, et l’on se battait à 4 lieues de là ! J’ai entendu, en France même, comparer don Carlos à