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que le prétendant rentrait en France le 28 février dernier, après trois ans d’une lutte aussi sanglante que stérile.

Redescendons vers le sud, Sanguësa occupe sur la rive gauche de l’Aragon le centre même d’une vaste plaine à peine élevée au-dessus des eaux. À plusieurs reprises la rivière grossie pénétra dans ses murs et la ravagea. Au XVe siècle, elle comptait parmi les cités les plus importantes de la Navarre ; les rois ne dédaignaient point d’y faire de longs séjours et la cour avec eux. Tout ce que l’art gothique, sur le point de finir et pressentant déjà la renaissance, imaginait de plus délicat, de plus capricieux, de plus fleuri, servait à décorer la demeure de ces hauts et puissans barons. Maintenant plus de fêtes et plus de bruit : les cris de chasse, les chants après boire, les accords des hautbois et des théorbes se sont tus ; confiés à la garde d’un vieil intendant, les grands palais, sauvés des eaux, s’écroulent dans un abandon sinistre, plus funeste pour eux que le voisinage du fleuve ou l’action du temps, sans que jamais le maître indifférent qui les reçut en héritage daigne les visiter. Du reste les habitans, en ce qui les touche, prennent facilement leur parti de cette déchéance : n’ont-ils pas toujours pour se consoler leurs riches coteaux plantés de fructueux vignobles, et plus bas la plaine verte, la pastoriza, où, sur une étendue de plus de deux lieues carrées, leurs moutons paissent par milliers ?

Une fois par an, le 2 décembre, Sanguësa semble secouer son voile de tristesse, les rues endormies retentissent du passage des voitures et du tumulte de voix ; de tous côtés, la foule est accourue pour célébrer l’anniversaire du vertueux François-Xavier, patron de la Navarre. Le castel où naquit le saint se trouve sur une éminence, à 3 kilomètres à peine de la ville : une école pour les enfans a été établie dans le bas de la grande cour centrale, transformée en chapelle ; à part cela, on a pris un soin religieux de conserver à tout l’édifice son aspect et ses dispositions primitives. Ce respect des Navarrais se comprend : il est peu de figures en effet aussi sympathiques, aussi touchantes que celle de ce noble jeune homme, riche et honoré, qui, dévoré de charité, brûlant de catéchiser les païens, s’en va mourir au bout de l’Asie, de fatigues et de misères ; la douceur de sa voix, l’éclat de ses yeux, où brillait la conviction, la pâleur de ses traits amaigris par un feu intérieur, tout en lui attirait, charmait, subjuguait. À Mozambique, à Melenda, à Goa, il fait des conversions sans nombre ; les populations ignorantes, émues de sa divine éloquence, se ruaient à ses pieds pour recevoir l’eau du baptême, et lui-même, dans une lettre écrite à Rome, disait un peu naïvement « qu’à force de baptiser, il ne pouvait déjà presque plus lever le bras. » Dans la cathédrale de Burgos, la plus belle peut-être de toutes les basiliques de l’Espagne, qui possède les plus belles du