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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/879

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de la riche collection Gaignières. Éléonore n’était point jolie, elle avait le visage trop large, le front semble aussi beaucoup trop grand; mais la mode était alors d’épiler les cheveux au haut du visage, de même que les sourcils. Les cheveux blonds sont relevés et portent le petit bonnet qui revient en pointe aiguë sur le haut du front. Les yeux bruns ont quelque chose de pur et de riant. La bouche est fine, et les lèvres minces sont plissées, comme dans presque tous les portraits de l’époque. Car il y a dans tous les portraits du même âge comme un air de famille, qui tient en partie à la mode, en partie à la manière de voir des artistes, qui se modifie de siècle en siècle. Le nez est grand et un peu épais, le menton court et trop fuyant. La figure en son ensemble a quelque chose de très juvénile, on n’y lirait point les fortes qualités qui devaient illustrer la princesse de Condé. A voir le corsage très étroit sous l’énorme fraise qui porte la tête, on devine une petite stature. Le seul caractère qui rappelle et retienne l’attention est le regard, qui est scrutateur et d’une malice mystérieuse.

Le cardinal de Bourbon, évêque de Laon, oncle et tuteur de Louis de Bourbon, demanda et obtint l’agrément du roi Henri II, et célébra le mariage, le 22 juin 1551, au château de Plessis-lez-Roye, de la demoiselle de Roye et de son neveu, qui n’avait encore que vingt et un ans. Les jeunes époux étaient pauvres : on assigna à Éléonore 12,000 livres de rente. Louis de Bourbon ne possédait que quelques chétives seigneuries, il n’avait aucun héritage à espérer, sa fortune était à faire. Un prince de son nom ne pouvait la faire qu’à l’armée : aussi le voyons-nous, à peine marié, partir pour les Pays-Bas; pendant cinq ans, il ne cessa guère de servir, en Italie, dans la campagne qui donna à la France les Trois-Évêchés, à Metz, en Picardie, en Hainaut, en Piémont. Sa jeune femme cherchait une consolation contre son isolement dans l’amitié de sa belle-sœur Marguerite, duchesse de Nevers, et de Jeanne d’Albret, la femme de son beau-frère Antoine de Bourbon ; elle était devenue mère pour la première fois à La Ferté-sous-Jouarre, où elle donna le jour à un fils qui fut nommé Henri de Bourbon (29 décembre 1552). Elle eut deux ans après, au château de Roucy, une fille qui ne vécut pas longtemps. Jeanne d’Albret la quitta l’année suivante pour aller régner en Navarre.

Condé (c’est vers cette époque qu’il commença à être appelé communément prince de Condé) avait montré beaucoup de valeur dans les armées ; il avait vingt-cinq ans et était toujours aussi pauvre. Son frère, en partant pour la Navarre, aurait désiré lui laisser le gouvernement de la Picardie; mais Henri II préféra confier à Coligny le gouvernement d’une province dont la garde était si importante !