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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/152

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un souffle de vent balançait en passant la cime des arbres, elles tombaient toutes ensemble, colorées aux reflets du soleil doré, comme une pluie d’étincelles de mille couleurs, et, dégouttant sur le sable ou de feuille en feuille, faisaient, dans la solitude des grands bois, un petit bruit imperceptible, comme un frissonnement. Plus loin, la verdure pressée étalait sur la route déjà séchée ses larges ombrages : à peine cachée dans les châtaigniers ou volant d’arbre en arbre, les merles et les grives s’agitaient en sifflant joyeusement pour saluer le matin. Une foule d’insectes aux brillantes couleurs, aux ailes transparentes, bourdonnaient dans l’air, secouant la rosée, et mêlaient le bruissement léger de leur vol au chant babillard des oiseaux.

J’avais suivi je ne sais quel sentier, marchant au hasard devant moi, oublieux de l’heure et du monastère que je voulais gagner, quand je m’avisai que je ne connaissais pas ma route, et que je m’étais égaré. Un enfant que je rencontrai se mit à rire en me voyant, et répondait à toutes mes questions : « Je ne sais pas, je ne sais pas. » Comme tous les petits Grecs, qui sont par la finesse et la malice les vrais frères de nos gamins de Paris, l’enfant ne découvrait dans notre rencontre qu’une occasion pour lui de se moquer d’un étranger, et il m’aurait vu radieux prendre un chemin tout opposé à celui que je cherchais. Désespérant d’obtenir de lui la moindre indication, je dus prendre le parti de l’attacher solidement par la taille à l’aide de ma ceinture, dont je conservai l’extrémité dans la main, et de ne le délivrer que lorsqu’il m’aurait guidé. L’entêté se mit à crier, à me battre, puis à pleurer ; enfin il se lassa et céda. En moins d’une heure, nous pouvions apercevoir du haut d’une colline le chemin qui serpentait jusqu’au pont.

L’enfant jugea que c’était l’instant de la séparation et s’arrêta : je voulus lui donner quelque monnaie, je lui offris de partager mon repas ? — mais ni l’argent, ni l’occasion si rare pour un paysan de manger du caviar ne séduisirent ce digne descendant de Lycurgue, et, dès que je l’eus détaché, il détala comme un lièvre en se retournant par instans pour me jeter des pierres. — Les arbres me dérobèrent en descendant la vue du torrent ; le sentier s’encaissait peu à peu dans un ravin ou le soleil ne pénétrait plus. Un bruit sourd répété par l’écho sous la voûte des bois m’annonçait seul le voisin nage des eaux furieuses quand j’atteignis le pont de construction vénitienne, en pierre, il est jeté d’une seule arche, en dos d’âne, comme un toit ; ses assises sont formées de deux énormes rochers qui s’avancent l’un vers l’autre. Au-dessous, étranglé entre les blocs sombres de granit qui écrasent ses rives, le fleuve coule en grondant l’écume de ses eaux grossies par la fonte des neiges ; des