Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roches détachées du bord surgissent noires au milieu des vagues qu’elles brisent, et le vent jette jusqu’à moi la poussière blanche de l’eau.

Une végétation abondante se presse au-dessus du torrent. Les chênes verts, les pins, des arbres à baies rouges, des merisiers sauvages se confondent enlacés dans des lianes, La solitude est complète, on n’entend plus les oiseaux chanter ; le soleil les appelle, et le grondement des flots qui heurtent les rives et qui roulent des pierres les effraie sans doute.

Plus loin, le sentier moins obscur est tout encombré de rosiers, de jasmins sauvages, d’églantiers, de clématites en fleurs. L’ombre reparaît de nouveau avec les grands arbres, le sentier est plein de mousse ; tout à coup, à un détour, une longue vallée profondément encaissée s’étend à mes pieds, inondée de soleil entre deux hautes montagnes boisées. Le fleuve, tout à l’heure étroit et furieux, coule ses eaux paisibles et transparentes sur un large lit de sable au milieu des lauriers-roses. Des orangers, des peupliers aux sommets touffus, des trembles, d’immenses platanes aux troncs argentés, le pied dans l’eau, poussent le long de ses rives. En face de moi, à droite du torrent, sur un plateau à mi-côte, le monastère, construction carrée aux lourdes murailles blanches, apparaît entouré de verdure dans un jardin planté de cyprès, de mûriers, de figuiers, de jasmins, de rosiers géans. ; vers lie sud, une terrasse naturelle s’avance plongeant sur le torrent : deux moines, en robe noire s’y promènent.

Je descendis, suivant le même ; chemin, devenu plus facile, et je me trouvai avant le soir au bord du Selinus, large en cet endroit comme un lac. La vallée que les montagnes protègent une partie du jour contre les rayons du soleil était fertile et en partie défrichée. De temps à autre, j’apercevais, occupés à tailler leurs vignes, des diacres et de jeunes moines. Quelques-uns suivaient, en sens inverse, la même route que moi ; ils m’adressaient en passant, sans me connaître, un signe amical et mettaient la main, sur leur cœur.

Un moinillon d’une douzaine d’années qui venait derrière moi me rejoignit. Il m’avait vu sans doute à Aigion, et me connaissait comme l’hôte d’une famille qui protégeait son couvent. — Vous allez à Taxiarque ? me demanda-t-il ; — il était posé devant moi, incertain, les yeux, baissés, retenant à son épaule un fagot et une faucille qui pendaient sur sa robe de lin bleue, pâlie par les lavages et le soleil ; sa figure dorée comme une pêche mûre était encadrée par de longs cheveux châtains bouclés sous son bonnet bleu ; il répéta deux ou trois fois : — C’est bien, c’est bien ;… mais je veux les prévenir, reprit-il tout à coup, — et il se mit à courir pour me devancer.