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effet, jusqu’au temps des Borgia, les Farnèse, dont sur le sol romain deux splendides monumens immortalisent aujourd’hui le nom, les Farnèse comptaient à peine. C’est au pape Alexandre VI que cette famille doit la grande figure qu’elle a faite depuis. L’idolâtre amant de la belle Julie, en conférant au frère de sa maîtresse la dignité de cardinal, préparait le pontificat de Paul III, ancêtre des Farnèse de Parme : principium et fons, et c’est ainsi que du limon bourbeux la vie se dégage, et que les monstrueux sauriens sortent du vice et de la corruption pour se répandre sur le monde.

Cette Adrienne Orsini, belle-mère si accommodante, avait de longue date toute la confiance du cardinal Rodrigue. Il se confessait à elle de ses péchés, lui disait ses plans, ses intrigues, et jamais ne cessa de la consulter. Ce fut aux mains de la chère dame que passa Lucrèce en quittant le toit de Vannozza. Il s’agissait avant tout pour la fille du cardinal de se former à la tenue, aux élégances, au beau langage des jeunes personnes de maison princière. Nous la voyons à la fois apprendre à s’habiller, et s’accoutumer, se rompre aux plus sévères exercices de la dévotion. Cette piété de sacristie, — très rigide et particulière de tout temps à l’éducation des femmes italiennes, — n’a rien qui doive épouvanter et procède beaucoup moins des besoins de l’âme que d’une certaine attitude morale qu’on pense devoir s’imposer : pécher, au demeurant, est peu de chose, mais la décence et le goût veulent que la pécheresse la plus relâchée ne manque point l’office et conserve partout les dehors d’une catholique exemplaire. De femme sceptique et professant tout haut la libre pensée, il n’y en avait point ; même parmi les hommes, les esprits forts n’auraient osé jeter le masque. Un tyran sans foi ni loi, l’atroce Malatesta de Rimini, bâtissait des églises ; la Vannozza édifiait, ornait une chapelle à Santa-Maria-del-Popolo, et Lucrèce, sa bien-aimée fille, devenait, par les soins de madame Adrienne Orsini, un modèle de vertu pratiquante.

A côté de l’instruction morale, la culture intellectuelle eut naturellement sa place. La fille d’Alexandre VI reçut l’enseignement classique de son temps ; l’étude des langues, la musique, les arts du dessin, l’occupèrent, et plus tard son rare talent à parfaire des broderies de soie et d’or émerveilla Ferrare. Elle parlait l’espagnol, l’italien, le français, le grec et le latin, écrivait indistinctement, même au besoin rimait dans toutes ces langues, et notons que ce n’étaient là que simples rudimens et premiers degrés d’éducation, pendant le séjour à Rome, alors que ni les Bembo ni les Strozzi n’avaient encore mis la main à son développement. Remarquons aussi, pour donner une idée de ce qu’était aux XVe et XVIe siècles cette culture, chez les femmes, que Lucrèce ne compte point parmi les savantes et les beaux esprit