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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/262

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laissant la divine Alcmène aux bras du Jupiter mitre. Du reste, pour cacher sa honte, les châteaux ne lui manquaient pas ; le pauvre homme n’avait qu’à choisir entre tant de riches domaines dont le pape avait doté sa femme, « la fiancée du Christ, » ainsi que les mauvais plaisans de Rome avaient baptisé Julie.

Une lettre du témoin que nous venons de citer, Lorenzo Pucci, envoyé de la république de Florence et allié aux Farnèse, nous montre l’intérieur du palais de Santa-Maria-in-Porticu, et nous met en rapport direct avec le personnel qui l’habite. « Hier au soir, comme c’était vigile, je montai à cheval avec monsignor Farnèse pour aller assister aux vêpres du pape. Or, tout en attendant que la présence de sa sainteté fût annoncée dans la chapelle, j’entrai un moment au palais de Santa-Maria voir madonna Julie. Je la trouvai qui venait de se laver la tête ; elle était assise près du feu avec madame Lucrèce, fille de notre maître, et avec madame Adrienne ; on m’accueillit de la meilleure grâce. Madame Julie voulut m’avoir à côté d’elle, puis, après un peu d’entretien, voulut me montrer son enfant qui déjà commence à grandir. C’est le vivant portrait du pape. Mais elle, vous n’imaginez pas beauté pareille ! Elle a pris un certain embonpoint, et je la proclame ici la plus splendide créature. Elle dénoua devant moi ses cheveux et se fit accommoder. Ses longues tresses ruisselaient jusqu’à ses pieds ; elle portait une coiffure de fin linon parfilé d’or, et sa beauté brillait comme un soleil. En vérité, j’eusse donné beaucoup pour que vous eussiez été présente, afin de vous renseigner de vos propres yeux. Elle était vêtue d’une robe fourrée et taillée à la napolitaine, de même aussi madame Lucrèce, qui nous quitta pour se déshabiller et revint un instant après en habit de velours violet… Les vêpres terminées et les cardinaux partis, je quittai ces dames. »

C’était la maison de Gomorrhe que ce palais, et les révélations ultérieures de Sforza, le mari de Lucrèce, nous édifieront sur ce qui s’y passait. Le 10 août 1496, l’aîné des infans romains, don Juan, duc de Gandie, arrivait dans Rome en grande pompe. Pour la première fois Alexandre VI voyait tous ses enfans rassemblés autour de lui. Jean résidait au Vatican, Lucrèce au palais de Santa-Maria, César et Geofroy au château Saint-Ange. Autant de groupes, autant de cours se visitant, s’entremêlant, toujours en fêtes. La musique, la danse, les banquets et les mascarades ne cessaient pas ; de somptueuses cavalcades parcouraient la ville, et rentraient au Vatican, conduites par Lucrèce et dona Sancia d’Aragon, femme de Geofroy. À ces réunions, à ces jeux, le pape prenait part, tantôt de façon tout intime et tantôt officiellement, de l’air d’un souverain qui reçoit les princesses de sa maison. A table, Alexandre VI se