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caractères spéciaux. Les coutumes funéraires actuelles des Chinois nous sont pourtant assez connues. On peut croire que là, moins encore qu’ailleurs, elles n’ont subi de sensibles variations, l’idée fondamentale de la Chine étant le culte des ancêtres, cette idée a dû y porter au Comble le faste funéraire. La première pensée du Chinois est d’assurer aux parens, aux ascendans du moins, de somptueuses obsèques et une convenable sépulture. Si la mort vient à frapper le père d’une famille qu’il laisse sans ressources, on enferme le corps dans un cercueil ; la famille vend ou emprunte, et, si cela n’est pas suffisant, le fils s’engagera comme serviteur ou travaillera à bien faire ses affaires, afin que rien ne manque, fallût-il attendre des années, à la pompe des cérémonies et à la richesse de la sépulture proportionnée du moins à la condition de chacun. On remarque même que dans les hautes classes le respect pour les parens semble d’autant plus profond que leurs funérailles sont plus longtemps ajournées. Comme chaque jour de retard donne lieu à un droit qui dans l’Archipel indien a été porté à 300 florins, celui-là est censé le plus riche qui se soumet le plus longtemps à cet impôt volontaire. C’est ainsi que les funérailles du capitaine chinois de Samarong ont coûté l’énorme somme de 400,000 roupies.

C’est de temps immémorial qu’en Chine les deuils ont été sévères et prolongés, et qu’on voit pratiquée la coutume de servir aux morts, avant de les conduire à leur dernière demeure, des tables couvertes des meilleurs mets. La musique discordante, instrumens et chants, qu’on fait entendre dans la maison même des défunts, a pour but de faire fuir les mauvais génies qui rôdent autour des cadavres encore chauds. Voilà pourquoi aussi on met au fond de la tombe des figures horribles. Ces mauvais génies, très obstinés, continuent parfois à y poursuivre les morts. On compte aussi avec des ennemis moins problématiques, les voleurs, qui dérobent les tombes, et on espère, à l’aide de ces figures épouvantables, les frapper d’un pieux effroi. Dans la supposition que le défunt peut avoir besoin d’argent, on lui en donne quand on peut, ou bien, faute de mieux, on espère que le papier-monnaie dont se contentent les vivans aura cours dans l’autre monde. Ce qui complique le faste funéraire de ce peuple, c’est qu’un Chinois n’est pas censé avoir seulement une âme comme un Européen, mais bien trois, lesquelles ont chacune une destinée à part et exigent des honneurs spéciaux. Voilà pourquoi, à côté de ce catafalque superbement orné, on aperçoit trois personnages en costume de théâtre, dont chacun a pour mission de représenter une des âmes du défunt. L’un, vêtu comme une femme, ayant des fleurs dans les cheveux, des fruits et des animaux brodés sur la soie de ses robes, n’est autre que l’âme terrestre, celle qui habitera le corps d’un animal plus ou moins noble, à moins qu’on ne