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dès l’abord pris possession de leur domaine, en sont bien maîtres. Ses vers, d’une grâce agreste et d’un sentiment vrai, nous ramènent au charme bienfaisant des humbles horizons et de la vie simple cachée en la nature. Il n’a guère fréquenté les alentours du Parnasse contemporain, il n’est pas de ceux qui peuvent dire : « Mon cœur saigne pour la rime. » Mais il est bien de son pays, de ce versant occidental des Vosges, où l’on voit « les lignes sombres des futaies épaisses bleuir au-dessus des vignes. » Il dirait volontiers avec Horace : Ille mihi præter omnes terrarum angulus ridet. Ces forêts sont la patrie de sa muse, et il leur dédie ses vers :

Aux bois émus, aux bois baignés
De rosée et de lumière
J’offre ces vers tout imprégnés
De la senteur forestière.

Vivant dès l’enfance dans l’intimité de cette nature, M. Theuriet y a puisé sa saine inspiration. De là cette langue précise et ferme, cette saveur rustique rehaussée par des expressions locales que l’auteur glisse çà et là dans ses vers d’une main heureuse, de là l’arôme vivifiant des bois qui court entre ces pages. La mélancolie de la jeunesse fuyante et des amours perdus s’y mêle comme le parfum pénétrant d’une fleur mystérieuse et cachée. Toutefois la note triste qui traverse ces poésies est toujours adoucie par les joyeux murmures de la forêt et dominée par la voix de la nature renaissante. M. Theuriet aime la forêt dans tous ses détails ; s’il la sent en poète, il en connaît les secrets non moins qu’un chasseur ou qu’un garde forestier. Aussi trouvons-nous en lui un paysagiste consommé dont les descriptions sobres et nettes nous font voir la jeune et la haute futaie, le chêne et la graminée, les boutons d’or qui flottent dans l’onde des ruisseaux et les nids blottis dans la grande herbe.

Par ses qualités d’observateur ému, M. Theuriet est également un charmant peintre d’intérieur ; mais son talent sympathique se montre, selon nous, dans toute son originalité là où, s’inspirant de la chanson proprement dite, l’agrandissant par un souffle personnel, il donne une voix au peuple lui-même. Cet accent, assez rare dans la poésie française, est bien marqué dans la Chanson du vannier, dans le Charbonnier et dans le chant des bûcherons du poème de Sylvine. Il y a dans ces vers toute l’énergie des « francs coupeurs de chênes, aux cœurs trempés comme des cognées, » la joie saine et la mâle poésie qui se dégagent du travail. C’est dans cette voie que nous voudrions voir persévérer M. Theuriet, puisque le roman lui-même, où il obtient un si légitime succès, le ramène quelquefois a la poésie. Il pourrait nous donner tout un cycle de chansons graves, gaies ou touchantes sur les travaux des