Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/627

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

engagés dans l’Inde pour la Réunion et les Antilles, où, par contrats, ils sont assujettis au travail des sucreries pendant cinq années. C’est une sorte d’esclavage à temps, avec cette atténuation qu’il est volontairement consenti. Cet expédient fournit des bras sans doute aux sucreries et aux champs de cannes ; mais à quel prix! Les Indiens émigrans doivent être amenés de l’Inde, et les précautions à prendre pour leur santé et leur installation à bord, pendant le voyage très long de Pondichéry aux Antilles, sont fort dispendieuses. Après leur arrivée, les maîtres sont tenus de leur fournir, outre les salaires, des vêtemens dont la quantité et la qualité sont fixées par les règlemens. On leur doit encore des rations journalières également déterminées. Enfin, après une résidence de cinq années passées en cette condition, ces cultivateurs de passage ont droit soit au rapatriement aux frais de la colonie, soit à une prime de rengagement. À ce prix, les planteurs obtiennent la main-d’œuvre nécessaire, mais elle est fort précaire. Combien de temps sera-t-il possible de continuer ces dépenses? Autrefois on payait, il est vrai, le prix des esclaves introduits par les négriers ; mais ces âmes représentaient un placement de capital qui s’accroissait avec le temps par les naissances. Les immigrans indiens, pendant un intervalle de cinq années, remboursent-ils, et avec bénéfice, par ce travail de courte durée, les frais de transport, aller et retour, les vêtemens, le logement, la nourriture et le salaire? Il le faut, ou sinon l’opération est mauvaise et finirait par devenir ruineuse. C’est un calcul à faire ; mais, en admettant même que cette dépense soit rémunératrice, l’immigration est, de l’avis unanime des économistes, mauvaise à d’autres points de vue. Ils disent que cette population, recrutée dans les rangs les plus vils, se distingue par une profonde immoralité. Elle apporte aux colonies ses vices, que la disproportion des femmes rend abjects. C’est un funeste voisinage pour les affranchis, auxquels il est si important de donner de bons exemples et de bons principes. « Au point de vue moral, dit M. Paul Leroy-Beaulieu, l’immigration est jugée, c’est un procédé déplorable qui mine les bases de la société coloniale, qui juxtapose des populations essentiellement différentes et sans intérêt commun, qui inocule les vices asiatiques à des sociétés européennes. »

Le même auteur juge aussi l’immigration sous un autre aspect. Elle détourne, dit-il, les habitans de la nécessité d’améliorer les procédés de culture et de mieux utiliser la main-d’œuvre, qui existe réellement dans les colonies, en la perfectionnant. Quant à nous, ayant à formuler notre pensée, nous ajouterions que le principal vice de l’immigration c’est de ne rien assurer, de ne rien fonder, de n’être qu’un expédient momentané qui ne remédie à rien,