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époque, ils déposèrent le gouverneur et constituèrent une espèce de comité de salut public. Le gouvernement impérial rétablit l’ordre à la Réunion en y envoyant le général Decaen (1803). Circonstance singulière, la colonie ne fut pas éprouvée par la guerre, qui respecta ses rivages jusqu’en 1810, malgré l’agression de ses corsaires. Elle avait d’ailleurs profité de son autonomie pour admettre les navires étrangers. Jamais sa prospérité ne fut plus grande; mais cette prospérité cessa en 1806, époque où les croisières ennemies interceptèrent ses communications, et la laissèrent exposée aux plus dures privations. Enfin les Anglais, au nombre de 4,000 hommes, y débarquèrent le 8 juillet 1810. Il y avait alors dans l’île 160 hommes de garnison dont 100 hommes de troupes régulières, 160 créoles des compagnies mobiles, en tout 260 hommes. La garde nationale de l’île, au nombre de 1,200 hommes, s’était jointe à cette poignée de soldats : moins de 1,500 hommes contre 4,000 soldats réguliers. La résistance néanmoins fut honorable.

Dans quel dessein avons-nous rappelé ces faits? C’est surtout pour constater que, constituée comme elle est, la société coloniale n’est pas en état de se défendre par ses propres moyens. La Guadeloupe, dont l’indépendance a été sauvegardée avec une héroïque et sauvage énergie par Victor Hugues, n’a pu fournir, comme on l’a vu, qu’un bien faible secours à ses intrépides défenseurs, et elle est retombée sous le joug de l’étranger dès qu’elle a été réduite à ses propres forces. La Martinique a succombé plus vite encore et sans avoir même un reflet du lustre qu’avaient jeté sur l’île voisine les exploits du commissaire de la convention. Quant à la Réunion, nous venons de voir le peu qu’elle avait pu faire. Qu’on ne se méprenne pas sur notre intention, qui est, non pas de mettre en doute la bravoure de la race essentiellement courageuse des créoles, mais simplement de faire ressortir les défauts et les impuissances de leur organisation sociale et de leur situation politique, et aussi de réduire à leur valeur des amplifications et des exagérations. Les questions de sentimens devraient être écartées des discussions de politique, de finance et de commerce.

La race européenne aux Antilles est peu nombreuse, et les Africains n’ont pas été élevés à connaître les dévoûmens qu’inspire le sentiment patriotique. La défense des colonies ne peut donc être confiée avec quelque sécurité qu’à l’armée et à la marine de l’état. En Angleterre, il est des colonies où l’on a cru pouvoir sans danger supprimer les troupes régulières et confier aux habitans le soin de leur propre sécurité ; mais ces territoires comptent par centaines de mille et même par millions des habitans de race blanche, habitués dès l’enfance aux aventures, à l’usage des armes et à tous les