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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/652

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Ce tout qui recommence, c’est l’infini. Phtos le voit en son entier, grâce à la fenêtre merveilleuse ; il voit le fond, il voit la cime ! On pense bien que ce spectacle doit le troubler un peu ; si commodément qu’il soit accoudé à ce balcon, il éprouve des émotions contradictoires, il ressent par exemple la joie obscure de l’abîme, et en même temps, accablé de soleils, de météores, d’étoiles, de voûtes célestes succédant à des voûtes célestes, il subit l’inexprimable horreur des lieux prodigieux. N’importe, horreur ou joie, il a vu ce que nul n’a vu, il triomphe, et refaisant le même chemin, remontant le même puits, traversant les mêmes cavernes, escaladant les mêmes entassemens de rochers, grave, hautain, foudroyé, offrant aux regards la difformité sublime des décombres, il surgit tout à coup au milieu des olympiens, pour leur crier : Ô dieux ! il est un Dieu.

Tout cela pouvait se dire plus simplement, sans que la poésie eût rien à y perdre. N’insistons pas toutefois ; avec ces imaginations sans frein, la critique serait trop aisée. Ce qui attire ici notre curiosité, c’est la philosophie des religions, partie si considérable de la philosophie générale de l’histoire. M. Victor Hugo ne se contente pas d’être le plus colossal et plus cyclopéen des poètes ; on le blesserait assurément, si on négligeait d’étudier chez lui le penseur. Il a sa philosophie des religions dans la Légende des siècles comme il a sa philosophie de l’histoire. Hélas ! l’une et l’autre se ressemblent trop. Nous avons réclamé tout à l’heure contre cette philosophie de l’histoire qui supprime la grande loi morale, la loi du mouvement et du progrès ; il faut protester aussi contre une philosophie des religions qui fausserait à la fois l’idée de Dieu et l’idée de l’homme.

Le titan, pour se venger des dieux, découvre et annonce le Dieu unique. Fort bien. Ces vieux symboles peuvent être interprétés de bien des manières. L’interprétation proposée dans les poèmes de M. Hugo n’a rien qui choque ni la philosophie ni l’histoire. Elle se rattache même à l’interprétation chrétienne du mythe de Prométhée. Plusieurs pères de l’église ont vu dans le supplicié du Caucase une image de l’humanité avant la venue du Messie, et le Prométhée délivré, non pas celui d’Eschyle, perdu pour nous aujourd’hui, mais celui que concevait leur imagination apparaissait aux lettrés des vieux âges chrétiens comme un symbole de l’affranchissement des âmes par l’Évangile. C’est la haute conception que l’auteur d’Ahasvérus a réalisée avec noblesse dans son drame de Prométhée, lorsqu’il nous montre au troisième acte les archanges Michel et Raphaël venant briser les chaînes du bon titan et percer d’une flèche le cœur du vautour. Mais ce rôle de titan n’est beau qu’à la condition de représenter quelque chose d’humain. Ce qui fait la gran-