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l’heure. On ne saurait se défendre, en les voyant, d’un dégoût mélangé de pitié, moins pour eux qui sont affranchis de la plus cruelle des souffrances, celle de comprendre leur misère, que pour la nature humaine elle-même, dont on serait tenté de révoquer en doute la divine origine. On se trouve en effet en présence de toutes les monstruosités que pourrait accumuler dans son désordre une création inconsciente : hydrocéphale à la tête grosse deux fois comme celle d’un homme ordinaire ; microcéphales dont les cheveux joignent les yeux et dont l’enveloppe crânienne ne contient pas la place du cerveau, et bien d’autres infirmités encore que la plume se refuse à décrire. Ceux-là même sur lesquels quelque difformité apparente n’attire pas sur-le-champ l’attention ne vivent manifestement que de la vie animale, tantôt riant sans cause, tantôt pleurant à chaudes larmes, sans trahir d’autre sentiment et d’autre désir que celui de la gloutonnerie. Tout ce pauvre monde grouille sous les yeux d’une surveillante laïque et de deux infirmières qui ne parviennent pas, malgré leur bonne volonté, à les maintenir dans un état de propreté même relative. Je ne connais pas de spectacle plus triste et plus troublant. On sort le cœur serré en regrettant de ne pouvoir partager cette superstition touchante des peuples de l’Orient, qui considèrent les idiots comme visités de Dieu et comme étant de sa part l’objet d’une bénédiction spéciale.

La division des bien portans se compose presque exclusivement d’enfans épileptiques. À les voir jouer de loin, on les prendrait, avec leur uniforme bleu, pour les élèves d’un pensionnat mal tenu ; de près on ne tardera pas à remarquer sur la figure de chacun d’eux quelque symptôme soit d’abrutissement, soit au contraire d’excessive excitabilité. Si l’on assiste quelque temps à leurs exercices ou à leurs jeux, on verra probablement l’un d’entre eux s’arrêter, saisi d’un frisson subit et, lorsque les gardiens n’arrivent pas à temps pour l’enlever, se rouler en écumant sur le sable. Les chutes de quelques-uns sont si soudaines qu’on est obligé de leur garnir la tête d’un bourrelet, destiné à les empêcher de se briser le crâne en tombant sur le pavé. Si triste que soit la condition des épileptiques, leur mal n’est cependant pas sans remède. On parvient sinon à les guérir complètement, du moins à calmer les crises et à les rendre assez rares pour qu’ils puissent être rendus à leur famille sans danger. Au contraire, si les crises se rapprochent, l’intelligence s’affecte de plus en plus, et ils ; ne tardent pas à devenir de véritables idiots. Parfois ils sont sujets a ce qu’on appelle en style médical des impulsions instinctives, c’est-à-dire à des actes irréfléchis et dangereux. Leur manie la plus fréquente est celle des incendies, et ce sont souvent les craintes qu’ils inspirent aux voisins