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accumulée sur les bords de ces petits réservoirs d’eau. Les cadavres de chevaux et de bœufs s’amoncelaient ainsi par milliers et étaient bientôt ensevelis sous une couche de sable qui s’éleva dans certains endroits jusqu’à 2 mètres.

Si l’on prend la peine d’interroger l’habitant, de rappeler ses souvenirs, il vous dépeindra ces années de longue souffrance, où, ruiné, enfermé dans son rancho, exposé à mourir de faim ou de soif, rudement éprouvé par ces tourbillons incessans, il n’avait d’autre spectacle que la campagne, ravagée, dépouillée de toute verdure, semée de cadavres plus ou moins décomposés, ossemens blanchis, squelettes décharnés, dévorés par les jaguars, les pumas, les renards, que la tourmente ensevelissait, eux aussi, au milieu de leur festin; il vous dira encore comment ces trois années de sécheresse et de stérilité furent suivies de pluies continues et torrentielles, les rivières grossies, le pays inondé, les cadavres arrachés de leurs sépultures par le courant.

Reportons-nous maintenant à l’époque géologique antérieure, et nous comprendrons ce qui devait se passer alors : des phénomènes semblables produisant des effets identiques, avec cette différence que les perturbations atmosphériques avaient nécessairement une influence plus grande à une époque où les forces de la nature n’étaient pas équilibrées.

M. Burmeister, dont l’autorité en pareille matière s’augmente de la valeur d’observations recueillies dans de nombreux voyages à travers la pampa et pendant un long séjour à Buenos-Ayres, s’élève vigoureusement contre cette théorie qui prétend former 25,000 milles géographiques sur une épaisseur moyenne de 25 à 30 mètres, par des sables mouvans, sans même indiquer d’où pouvaient provenir ces sables. Les dunes en effet sont des dépôts étroits sur des côtes marines, mais ne se présentent jamais sous l’aspect de couches horizontales aussi étendues que les pampas ; leurs matériaux sont toujours apportés de loin. Elles supposent de grands dépôts de sable préexistans, une mer desséchée dont le fond aura été dispersé par le vent, un désert de sable qui n’a pu exister là où vivaient les grands mammifères éteints. Il est également impossible d’admettre que ces animaux aient été ensevelis vivans sous des monceaux de sable apportés par le vent; le mégathérium, en particulier, était construit de telle manière qu’il pouvait laisser passer une tourmente de sable, même d’une certaine durée, en se dressant sur ses pieds de derrière; mais ce qui est péremptoire, c’est que, dans les découvertes faites d’ossemens fossiles, l’on observe le plus souvent que le tronc n’est pas déposé au même endroit que la queue et en général les extrémités, fait que seule peut expliquer l’existence probable de nombreux courans d’eau permanens ou discontinus,