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et chaque année des bancs se forment ou augmentent d’étendue dans le grand estuaire de la Plata jusqu’à compromettre, dans un avenir peu éloigné, les abords de Buenos-Ayres, en même temps que le long des côtes du Paraná et de l’Uruguay, en dehors de l’estuaire, des îles d’une étendue déjà considérable se forment par alluvion et réduisent peu à peu le lit de ses fleuves. Il est certain que l’estuaire de la Plata avait à cette époque antérieure une étendue plus considérable et affectait les proportions d’un grand golfe : des coquilles marines, des squelettes de baleines, trouvés à 100 ou 150 lieues de l’embouchure actuelle, le prouvent surabondamment; mais on ne saurait admettre que la mer ait contribué à la formation du territoire pampéen, qui est due à l’affritement continu des Cordillères, travail que des soulèvemens successifs des montagnes venaient de temps à autre activer. Il est démontré aussi, par la position des cadavres, que les grands mammifères éteints n’ont pas été victimes à la même heure d’un cataclysme général; ils ont disparu peu à peu et successivement. Peut-être cette disparition a-t-elle été amenée simplement par le développement rapide d’espèces plus petites naturellement envahissantes : dans cette lutte pour la vie, la progression en nombre des petits animaux devait rendre impossible l’alimentation des grands, moins bien constitués pour arriver à se nourrir sur un terrain pauvre. Ne voyons-nous pas aujourd’hui un phénomène analogue se produire au même lieu, sous l’état de domesticité : le terrain réservé aux bêtes à cornes est chaque jour rétréci, le mouton, par une multiplication rapide, exigeant chaque année de nouvelles surfaces pour s’épandre, si bien que, si ces deux races étaient abandonnées à elles-mêmes, le mouton resterait certainement maître du terrain, organisé qu’il est pour brouter jusqu’au ras du sol les herbes les plus menues sans laisser au gros bétail la possibilité d’en couper la largeur de sa langue.

Il entre dans la théorie de M. Burmeister de prendre le lieu où ces cadavres ont été trouvés pour celui même où les animaux éteints ont vécu. Les longues pérégrinations étaient difficiles aux grands édentés, mégathériums, fourmiliers, paresseux et tatous, et si l’on peut admettre que l’hippidium, le mastodonte et autres grands quadrupèdes pouvaient entreprendre de longs voyages, il est prouvé aussi qu’ils rencontrèrent devant eux, pendant une longue période, la barrière du grand plateau méridional du Mexique, sous le 20e degré de latitude nord, qui limita leur habitat. Toutes les émigrations trouvaient là un obstacle assez infranchissable pour que la faune de chacune des parties de l’Amérique ainsi divisée soit restée distincte, formant deux provinces zoologiques qui contrastent vivement l’une avec l’autre et ne se rapprochent par des similitudes partielles qu’à une époque géologique très récente.