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figures largement touchées se détachant en vigueur sur un mur blanc brûlé de soleil. D’une vive et chaude couleur, l’Enterrement à Alger a de l’effet, mais les Maures du premier plan pèchent contre la proportion ; les têtes sont beaucoup trop grosses pour les corps. La touche est grasse et solide. C’est un des rares tableaux où Fromentin ait procédé par empâtemens. La Halte de marchands devant El-Aghouat trahit au contraire l’influence de Marilhat. Ce maître se fût reconnu sans difficulté dans cette composition savante et bien ordonnée, dans ce dessin, précisant la silhouette, dans cette coloration chaude et harmonieuse. La petite caravane a fait halte à l’ombre d’un bouquet de palmiers. Les chameaux, les jambes ployées sous le corps, se reposent, tandis que les chevaux broutent quelques touffes d’herbe roussie. Trois Arabes, drapés dans leurs burnous blancs, causent, sans gestes, avec la gravité orientale. On aperçoit dans les tons dégradés des fonds les crêtes bleuâtres des montagnes, les marabouts bulbeux et les murailles blanches percées de fenêtres, à peine grandes comme des meurtrières, d’une ville arabe. Dans le Campement dans le désert, on retrouve encore des réminiscences de Marilhat. La mer de sable du désert se confond au loin avec le ciel qui atténue sa vive couleur dans l’éloignement et la poussière chaude. C’est bien l’immensité. On ne distingue pas les premiers des derniers plans, mais le peintre les a fait sentir par un miracle de perspective aérienne. L’effet du tableau vient tout justement de cette absence de plans.

Nous ignorons à quelle époque Fromentin a peint ses Arabes attaqués dans une gorge de montagne. Mais devant ce tableau on ne peut s’empêcher de songer à Delacroix. Fromentin a cherché sa composition géniale qui lie si audacieusement les figures les unes aux autres, son furieux mouvement, ses partis-pris de notes sombres réveillées par des notes éclatantes, ses savans sacrifices de couleurs. Des hommes s’égorgent, des chevaux se cabrent, des coups de feu rayent la pénombre de stries livides. Les figures, vigoureusement brossées, sont d’une exécution solide, quoiqu’un peu lâchée. Il y a aussi de vraies qualités de mouvement ; mais la composition est confuse, et la couleur n’est pas belle. Fromentin a cherché pour les costumes des rapports et des alternances de tons dans la gamme des orangés et des laques, laques pourpres, laques roses, laques claires, laques foncées. La tentative est malencontreuse ; il y est revenu trop souvent, car le pantalon laque rose d’un cavalier nous gâte quelques-uns de ses meilleurs tableaux, entre autres la célèbre Chasse au faucon. Deux autres toiles exposées à l’École des Beaux-Arts, les Cavaliers combattant et les Arabes attaqués par un lion, sont presque des répétitions des Arabes dans une gorge de montagne : mêmes qualités de mouvement, mais aussi même