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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/937

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éternellement vrai, et s’il nous semble aujourd’hui le plus bel éloge en l’honneur de Masini, on le prendrait au contraire comme une épigramme sévère à l’adresse de Mlle Albani, la virtuose du moment et la fée aux recettes. Mais les plus belles ovations ne font rien à l’affaire, et puisqu’il faut toujours que la critique reprenne ses droits, autant vaut s’expliquer tout de suite. Au Théâtre-Italien, comme au Théâtre-Français, comme partout, le mal est dans la profonde ignorance du public. Quel contrôle attendre d’une assemblée qui ne s’y connaît pas? A la rue Richelieu, la voix chaude et vibrante d’une Sarah Bernhardt, l’accentuation puissante et sonore d’un Mounet-Sully, vont souvent suffire pour donner je ne sais quelle fausse apparence de poésie à des vers plats et détestables, et c’est encore cette simple fascination du timbre qui dans le théâtre du chant par excellence, à Ventadour, donnera le change sur la valeur d’une cantatrice. Il y a chez l’Albani l’étoffe d’une belle voix, il n’y a point une voix faite et capable de tout chanter. Elle a des notes pures, justes, cristallines, adorablement jeunes surtout; mais ce ne sont que des notes isolées, dont elle use et abuse à tout propos, des notes qu’elle ne lâche plus quand une fois elle les tient. Poser une phrase, en dessiner le contour musical, est un art qu’elle ignore complètement. Ni rhythme, ni mesure, ni proportion, une manière de vocaliser déplorable, toujours sautillante, une succession ininterrompue de staccati qui finit par vous agacer. Il faut que cette éducation ait été négligée dans le principe. On aura voulu paraître avant d’être, chose, hélas ! trop fréquente en ce temps de fleurs hâtives et de fruits prématurés. Initiée aux secrets du style et du chant large, elle eût peut-être atteint aux résultats les plus splendides; telle qu’elle est, froide et brillante comme l’acier, elle obtient des effets de virtuosité pure et simple, et qui ne prouvent rien. L’expression peut varier selon le goût et le tempérament de l’artiste, mais les valeurs veulent être respectées; qu’on chante fort ou piano, plus lentement ou plus vite, les proportions doivent être maintenues, les mots ont droit à leur place, « il faut, ainsi que jadis écrivait M. Villemain, que ce que vous dites soit de langue humaine. » Mettons que ce que nous chante aujourd’hui Mlle Albani soit de langue d’oiseau et tâchons, après avoir fait nos réserves, d’imiter le public, qui très galamment s’y laisse prendre.

Voltaire parle d’une princesse malencontreuse qui fut sa vie durant prisonnière d’un nécromancien. La Françoise de Rimini de M. Thomas n’est pas encore sortie du royaume des idées que déjà les bruits les plus extravagans circulent sur son compte. A croire ce que les chroniqueurs nous débitent, cette princesse malencontreuse ne songerait qu’à s’évader de l’Opéra pour aller, grâce aux sortilèges du nécroman Thomas, figurer à Londres sous les traits de la blonde Nilsson. Il est certain qu’après l’aventure de son Hamlet, dont la belle Suédoise dans Ophélie fit tout le succès, l’auteur du Caïd et de Mina doit singulièrement aimer