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de Virginie qu’il habite : des écoles primaires gratuites où tous les enfans apprendront les élémens, des collèges pour les langues anciennes et modernes, pour les sciences, la géographie et l’histoire, une université où sera donné le haut enseignement. La législation de l’état ne le seconde pas assez, il s’en plaint; mais il a réuni des souscriptions privées, on construit déjà les bâtimens de cette future université; il ne manque plus que des professeurs, et c’est là ce qui semble l’embarrasser le plus, car la culture intellectuelle était alors peu répandue en Amérique. Il se console en pensant que, s’il n’exécute point en entier le vaste plan qu’il a conçu, il aura du moins fait ce qu’il était en son pouvoir de faire, ce qui est le devoir de tout homme vivant en société.

Les états du nord, le Massachusetts en particulier, étaient plus avancés sous ce rapport que les états du sud. Harvard Collège a été fondé en 1638, moins de vingt ans après l’arrivée des premiers émigrans, par le révérend John Harvard, qui légua sa bibliothèque et une partie de sa fortune à la petite ville de Newton, désignée depuis sous le nom de Cambridge, à trois milles de Boston. C’est la plus ancienne université des États-Unis; c’en est aussi l’une des plus renommées. George Ticknor y était chargé de deux cours, l’un de belles-lettres, l’autre de littératures française et espagnole. L’enseignement des langues vivantes étant donné par des maîtres spéciaux, il ne lui restait, pour ce dernier cours, qu’à expliquer les bons auteurs, les commenter, faire l’histoire de la langue et des écrivains; ses voyages l’y avaient fort bien préparé. Peut-être eût-il été difficile de rencontrer, même en Europe, même en Espagne, un professeur qui connût au même degré la littérature espagnole. Quant au cours de belles-lettres, l’objet n’en était point défini. Il n’y avait pas à s’occuper des classiques grecs, compris dans le programme du professeur de grec, ni des classiques latins ou anglais, dont le professeur de rhétorique conservait le monopole. L’une des chaires dont Ticknor était titulaire pouvait donc compter pour une de ces superfétations comme il s’en produit dans les académies dont les bienfaiteurs, plus zélés qu’intelligens, font presque tous les frais. Ce n’est pas tout; la règle de Harvard Collège était telle que les élèves profitaient peu des moyens d’étude mis à leur disposition. Ils étaient mal surveillés, paraît-il, et ils en abusaient. Du reste l’instruction ne pouvait être que superficielle parce qu’elle s’étendait à trop de sujets divers. Au début, lorsqu’il n’y avait que quelques professeurs et un petit nombre d’élèves, ceux-ci étaient tenus d’assister tous à tous les cours. Quoiqu’il s’y trouvât en 1820 20 professeurs et 300 élèves, la règle primitive restait en vigueur : les classes trop nombreuses ne profitaient à personne; les jeunes gens de l’université n’avaient pas la liberté de s’en tenir aux études