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qui il avait rencontré Talleyrand. Mme de Pastoret y était aussi, pleine de bonté et d’indulgence, uniquement occupée des écoles du premier âge qu’elle avait fondées. Son mari, en qualité de tuteur légal du comte de Chambord, tenait chaque semaine en son hôtel un conseil où les affaires de l’héritier des Bourbons se discutaient. Quoique ce fût connu, personne n’y faisait obstacle. Aussi Mme de Pastoret disait-elle avec grâce aux membres de son parti qui se plaignaient d’être persécutés : « Je crois que nous sommes une forte preuve du contraire. » Quant à Chateaubriand, retiré au-delà de Sainte-Geneviève, à l’extrême limite de la ville, dans une sorte d’isolement sauvage, il reçoit peu de monde et ne va nulle part. Il me reçut avec bonté dans son cabinet, qui n’est pas très confortable. Les rides ont creusé son visage, ses traits sont devenus durs : il a cependant cet air théâtral que ses portraits rendent très bien. Il me parla de Mme de Duras avec affection, — ou du moins il fit semblant d’en éprouver, — et du règne de Louis XVIII avec amertume, ne cachant pas que les choses auraient tourné autrement, si l’on avait suivi ses conseils. Lorsque je m’en allai, il me pria de le venir voir quelquefois, ajoutant avec beaucoup de grimaces qu’il était un pauvre ermite, qu’il n’avait rien à offrir à un étranger habitué aux grands salons de Paris. C’est mon avis, et je n’y retournerai guère. » — On le voit, l’épigramme revient toujours dans ce journal de voyage, sous une forme bien anodine il est vrai, lorsqu’il s’agit des hommes absolus, dont les doctrines blessent les sentimens intimes de notre Américain.

C’était toujours, de même qu’en 1817, à l’hôtel de Broglie que Ticknor allait le plus volontiers et qu’il était reçu avec le plus de familiarité. Mme de Broglie avait toujours le même charme, la même bonté, la même franchise. Le duc avait eu de graves soucis depuis quelques années; on n’est pas premier ministre impunément. Sa confiance dans l’avenir des institutions libérales semblait ébranlée. L’observateur ne s’est-il pas mépris sur ce point? Il avait encore toutefois les allures originales de sa jeunesse, avec un singulier mélange de fierté, de modestie et de cordialité. Ticknor rencontrait avec plaisir dans ce salon « un homme qui a la réputation d’avoir beaucoup de moyens et qui est en quelque sorte le secrétaire du duc, M. Doudan. » C’est, on le sait maintenant, le lettré délicat dont la vie fut volontairement effacée et dont la correspondance posthume a obtenu un succès mérité. M. Guizot s’y montrait aussi souvent. A la façon dont notre auteur en parle, on est tenté de croire que Guizot est le véritable homme d’état tel qu’il l’imagine. Nulle part il ne le dit en termes positifs, mais il le loue sur toutes choses, sauf lorsqu’il s’avise de rechercher les succès de conversation et de montrer dans un salon qu’il a beaucoup d’esprit. On ne l’a pas oublié,