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comme le ciment même de l’Espagne, construite par une croisade religieuse, et, sans l’église, menacée de tomber en ruines. A quels hommes, ajoute-t-on, faut-il attribuer la liberté des cultes? Est-ce à des nationaux? Non, c’est le plus souvent à des Anglais, à des Américains, aux missionnaires protestans, aux sociétés bibliques. La tolérance semble ainsi n’être qu’un droit de propagande et d’agitation accordé aux étrangers et parfois aux ennemis de l’Espagne. Ainsi raisonnaient dans les cortès ou dans la presse les nombreux et puissans défenseurs de l’unité religieuse; ils refusaient de reconnaître qu’en bannissant les cultes dissidens, l’Espagne continuait à s’entourer d’une barrière morale plus élevée que les Pyrénées. Ce qui fait l’importance de la liberté des cultes en Espagne, ce n’est pas le petit nombre de prosélytes des missionnaires protestans, ce ne sont pas les prédications des pasteurs réformés, c’est la reconnaissance des droits de la conscience, l’abrogation définitive du monopole religieux de l’église. Sous cette question de la liberté des cultes, en apparence presque toute théorique, ce qui au fond est en débat dans la Péninsule, c’est la liberté de penser, liberté qui, en Espagne comme partout, a bien peu de garanties, si la loi n’admet qu’une foi officielle, qu’une église légale. De toutes les libertés modernes, c’est celle qui de tout temps a le plus manqué à l’Espagne, celle dont le défaut a été le plus fatal à sa grandeur.

La constitution de 1876 sanctionne modestement la liberté de conscience. « Personne, dit l’article 11, ne sera molesté pour ses opinions religieuses, ni pour l’exercice de son culte, sauf le respect dû à la morale chrétienne. » L’exercice des cultes dissidens est autorisé, le privilège des cérémonies ou manifestations publiques est expressément réservé à la religion d’état.. Ce serait de l’ignorance que de regarder une telle réserve comme fâcheuse ou peu libérale. En Espagne, de telles restrictions sont encore utiles, ne fût-ce que pour maintenir l’ordre public. Après l’opposition faite par l’épiscopat et le Vatican à cette tolérance restreinte, après les longs débats soulevés dans les cortès, on doit s’estimer heureux si cette clause est résolument maintenue et respectée. Déjà de récens exemples, à Port-Mahon et à San-Fernando, montrent que ceux qui inscrivent la tolérance dans les lois ne savent pas toujours la pratiquer dans les faits. L’application de la liberté religieuse reste en Espagne, comme ailleurs, une des difficultés du gouvernement, car il faut défendre la liberté contre la double intolérance de droite et de gauche, contre les fanatiques qui ne veulent souffrir d’autres cultes que le leur, et contre les forcenés qui, sous prétexte de liberté, ne voudraient admettre l’exercice d’aucun culte. Le gouvernement doit assurer les droits de la conscience, sans permettre