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évangéliques qui révèlent moins la recherche du style que celle du prix du Salon ou de la première médaille, les mêmes grandes scènes de l’histoire vues du petit côté de la lorgnette, conçues et traitées d’une façon anecdotique. Ainsi qu’à l’ordinaire, on s’étonne de cette habileté de main, de cette puissance d’exécution, de cet esprit ingénieux, mais on déplore l’absence du style, la pauvreté des conceptions, l’insouci du grand et du beau. Comme toujours aussi, on salue de vaillans débuts, de superbes promesses, — débuts qui sont, hélas ! des représentations de retraite, promesses qui ne préparent que des déceptions, car une des caractéristiques des peintres de notre jeune école est l’éclat du début et l’obscurité de la carrière. Il semble qu’ils mettent toute leur force, toute leur âme, toute leur jeunesse dans leur premier tableau, puis, qu’épuisés par un si grand effort ils soient désormais frappés de stérilité. Combien de jeunes peintres depuis dix ans qui par leurs débuts brillans, vigoureux, étranges., fort remarquables et fort remarqués, faisaient espérer des artistes originaux, sincères, maîtres du style ou puissans créateurs, et dont on n’a pu à chaque Salon que constater les défaillances successives ! Paresse d’esprit, sinon paresse de main, ils n’ont pour toute ambition que de rester égaux à eux-mêmes, quand ils devraient avoir celle de se surpasser sans cesse. Le génie humain ne saurait rester stationnaire ; s’il ne s’élève pas, il décroît. La volonté s’émousse dans les travaux faciles, la pensée s’engourdit dans les conceptions toutes faites, et, si l’habile ouvrier en peinture se retrouve toujours, le grand artiste est à jamais disparu.

Est-ce à dire pour cela, comme on le répète souvent, que l’art français, qui en tout cas tient la première place en Europe, soit en décadence ? Oui et non. On prétend que l’esprit court les rues ; il serait moins paradoxal, par ce temps de suffrage universel, d’affirmer que le talent court les ateliers. Aujourd’hui tout le monde a du talent. Après trois ans d’école, les élèves en remontreraient à leurs maîtres. La moitié peut-être des artistes vivans n’a point exposé, et on compte au Salon plus de trois mille cinq cents peintures, pastels, dessins et aquarelles. Or dans ces trois mille cinq cents œuvres d’art, deux mille au moins témoignent de vraies qualités. On ne saurait dire ce qu’il y a de science, d’habileté, d’expérience, d’esprit, d’invention, de perfection de dessin, d’éclat de couleur, de magie de clair-obscur, de puissance de modelé et de solidité de touche dans ces petits tableaux, dans ces paysages, dans ces compositions académiques, dans ces portraits même les moins réussis, sur lesquels l’œil, brisé par tant de mètres carrés de toile peinte et par tant de bordures dorées, ne daigne pas s’arrêter. Et croit-on le jury impeccable ? S’il a reçu quantité d’œuvres médiocres