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ou mauvaises, n’en a-t-il pas refusé beaucoup de bonnes ? car, il faut bien l’avouer, quoiqu’il nous en coûte, jusque chez les impressionnistes de l’exposition de la rue Le Peletier, il y a du talent. Peut-être l’art français n’est-il donc pas en décadence ; mais il a perdu en élévation ce qu’il a gagné en étendue. Nous n’avons plus que la menue monnaie des louis d’or.

Étourdi par une telle multitude d’œuvres où le talent est manifeste, le public ne sait que penser. Il admire tout indistinctement, ce qui équivaut à ne plus rien admirer du tout. Au Salon, la foule se presse devant le Marceau de M. Jean-Paul Laurens, mais elle n’est pas moins compacte devant la Sortie de Saint-Philippe-du-Roule, un méchant tableautin de M. Béraud. Et si le Marceau n’est pas acheté par l’état, il court grand risque de retourner avec la médaille d’honneur dans l’atelier du peintre, comme ces poètes que Platon chassait de sa république idéale en les couronnant de fleurs, tandis que la Sortie de Saint-Philippe trouvera vingt acquéreurs pour un. Certes il faut qu’un peintre ait « l’âme au triple airain, » la volonté acharnée, l’abnégation héroïque pour se contraindre à travailler deux ou trois années à un grand tableau d’histoire qui, même médaillé par le jury et acheté par l’état, lui rapportera trois fois moins d’argent qu’un petit tableau à la mode, auquel il aura passé quelques semaines, ou qu’un portrait à 20,000 francs brossé en dix séances. Aussi voyons-nous la plupart des peintres abandonner la grande peinture pour le portrait ou la peinture de genre. Il ne faut point d’ailleurs condamner les peintres parce qu’ils sont de leur temps. On ne vit de gloire que si la gloire est quelque peu dorée. Pour le public, il n’est point non plus coupable des conditions de la vie présente. Les patriciens de Venise et les riches bourgeois d’Amsterdam, qui avaient des palais, pouvaient y placer sans peine les immenses compositions de Véronèse et les grandes toiles de Rembrandt. Avec leurs petits appartemens, nos contemporains ne sauraient être hospitaliers à ces œuvres de la grande peinture qu’ils ne pourraient faire entrer chez eux qu’en pratiquant une brèche à la muraille. Le public ne peut rien pour la grande peinture. C’est à l’état qu’il appartient de la sauver tandis que de vaillans artistes lui ont encore conservé un reste de vie. Pour cela, que l’état prodigue les commandes dans les monumens publics, et qu’il réserve ses récompenses à ceux qui estiment que l’art n’a pas la mission de représenter un Montreur d’ours à Aurillac ou de peindre, sous prétexte de portrait, la robe d’un faiseur à la mode. La peinture de genre, qui vit de la curiosité, et la peinture de portrait, qui spécule sur la vanité humaine, se suffiront toujours à elles-mêmes ; il n’est pas besoin qu’on les encourage. Mais il ne convient pas, que parmi les peintres les uns aient réputation, argent, honneurs, et que les