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L'ERUDITION DANS LE ROMAN

Trois Contes, par M. Gustave Flaubert. Paris 1877.

Ce n’est peut-être pas toujours, dans les lettres, une bonne fortune que de débuter trop bruyamment, avec fracas, demi-scandale, et de s’imposer d’abord, de haute lutte, à l’attention publique. M. Flaubert en est un bon exemple. Voilà tantôt vingt ans qu’il a soulevé la plus vive mêlée de discussions autour de Madame Bovary ; depuis lors c’est vainement qu’il a transporté ses lecteurs des herbages de la Normandie jusque sur les ruines de Carthage, qu’il les a ramenés de Carthage à Paris, et de Paris remmenés aux déserts de la Thébaïde ; ils l’ont suivi, mais, pour eux comme pour tout le monde, il est resté l’auteur de Madame Bovary. Rien n’y a fait, ni Salammbô, ni l’Éducation sentimentale, — et quant à ce malheureux essai dramatique du Candidat, comme aussi pour cette composition bizarre, ennuyeuse, informe, de la tentation de saint Antoine, ce qu’on en peut dire de moins sévère, c’est qu’il est étonnant que l’éclat de leur insuccès n’ait pas fait seulement pâlir la renommée de Madame Bovary. Et vraiment, si les pères pouvaient être envieux de leurs enfans, de la figure qu’ils font dans le monde, surtout si l’on ne gardait pas un souvenir à toujours flatteur des premiers murmures de la popularité naissante, nous croirions volontiers que M. Flaubert se fût plus d’une fois voulu mal d’avoir débuté par Madame Bovary.

Voyez en effet la différence ; retournez la chronologie des œuvres et supposez que M. Flaubert eût commencé par la tentation de saint