Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jadis les Cosaques du Bon n’avaient point d’organisation militaire permanente, les hommes retournaient aux champs après deux ou trois années de service sans qu’il restât trace des sotnias auxquelles ils avaient appartenu. Aujourd’hui ils sont en tout temps formés en escadrons et en régimens, dont plusieurs, endivisionnés avec la cavalerie de la garde ou la cavalerie de ligne, font réellement partie de l’armée régulière. Les Cosaques du Don forment à eux seuls en temps de paix 21 régimens et 8 batteries à cheval, en temps de guerre 62 régimens et 22 batteries ; c’est plus de 50,000 cavaliers avec 30,000 environ de réserve. Les autres armées cosaques pourraient fournir un nombre proportionnel de régimens. Les steppes du sud-est, si riches en chevaux, offrent ainsi à l’empire une nuée de cavaliers habitués à l’équitation dès l’enfance, également propres à harceler les troupes ennemies qui oseraient pénétrer sur le sol national et à masquer la marche d’une armée victorieuse en inondant le pays envahi. Hardi et rusé, endurci et frugal, vrai centaure et excellent tireur, le Cosaque est aux yeux de ses panégyristes l’idéal du soldat à cheval. Quelques-uns de ses admirateurs ont été jusqu’à proposer de supprimer toute autre cavalerie pour employer les économies ainsi réalisées à perfectionner une organisation qui coûte beaucoup moins à l’état.

L’armée russe manque encore des réserves que lui devra fournir la loi nouvelle. Des états moins vastes et moitié moins peuplés, comme l’Allemagne ou même l’Autriche-Hongrie, pourraient aujourd’hui mettre en mouvement un nombre supérieur de soldats exercés. On ne peut dire cependant que les hommes fassent défaut à l’armée, du tsar. En ajoutant les troupes du Caucase et de l’Asie à celles de la Russie d’Europe, on trouve que sur le pied de guerre l’armée régulière doit compter plus de 1,500,000 hommes outre 200,000 de troupes irrégulières. Avec de telles forces sur le papier, combien la Russie peut-elle jeter de soldats hors de ses frontières ? Ses armées, on le sait, se sont de tout temps grandement réduites à la mobilisation et dans les marches. Il y a une dizaine d’années à peine, des critiques militaires affirmaient que le colosse du Nord aurait besoin de beaucoup d’intelligence pour réunir sur un point donné 200,000 hommes[1]. Dans la guerre actuelle, la Russie est parvenue à mettre en ligne sur deux points différens deux grandes armées ; c’est là encore aujourd’hui un effort difficile pour toute puissance militaire[2]. Si les succès des Russes ne répondent pas

  1. Rustow, die Russische Armee, Wien 1867.
  2. Voici quelle serait en ce moment la distribution des forces russes. L’armée du Danube compte sept corps de 40,000 hommes chacun, soit au moins 250,000 hommes. On a mobilisé il y a trois mois neuf nouveaux corps, soit 325,000 hommes environ. La réserve de l’armée du Danube prise dans les circonscriptions du midi représente 140,000 hommes. Il reste la garde, 50,000 soldats, l’armée de Pologne, 90,000, les circonscriptions de Moscou et de Kazan, 60,000, non encore formés en corps d’armée. Ajoutez à cela l’armée du Caucase, 160,000 soldats environ, et les contingens cosaques non encore attachés aux différens corps d’armée, et vous arrivez à 1,100,000 ou 1,200,000 combattans que l’on pourrait diriger sur les frontières. Pour garder l’intérieur, il resterait les troupes de Sibérie et du Turkestan, les réserves des Cosaques, les garnisons des places fortes, les bataillons de dépôt, et en cas de besoin la milice.