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de Charles X qu’ordre fut expédié à Saint-Lô et à Tours de les transférer à Paris, où ils arrivèrent, comme on l’a vu, dans la matinée du 27 août 1830.


II.

Aussitôt après leur arrivée au château de Vincennes, transformé pour la circonstance en annexe de la prison de la Force, les anciens ministres furent déposés dans le pavillon de la reine, où on ne les laissa que quelques heures, sans leur permettre de communiquer entre eux. En entrant dans une des salles de ce pavillon, M. de Guernon-Ranville s’étant approché d’une croisée ouverte sur la forêt, le général Daumesnil, qui se trouvait à ses côtés, lui dit : — Ne vous montrez pas trop, monsieur; une balle pourrait bien vous venir du dehors. — M. de Guernon-Ranville prit d’abord ces paroles pour une gasconnade; mais lorsque, quelques instans après, on le conduisit au donjon, à travers les cours intérieures, il comprit ce que contenait de vérité l’avertissement du gouverneur. Les gardes nationaux, rangés en haie sur son passage, lui adressèrent des injures et des menaces. Il entendit même ces mots : — Il faut lui f... un coup de fusil. — Il arriva cependant sans accident jusqu’à la cellule qui lui était destinée, au sommet du château, cellule de sept pieds de large sur douze de long, qu’éclairait une fenêtre étroite, percée dans un mur d’une épaisseur de deux mètres et garnie d’un double grillage de gros barreaux de fer.

Ses collègues occupaient déjà des cachots pareils au sien. Pour y parvenir, ils avaient dû passer comme lui parmi les gardes nationaux de service dans les cours et subir aussi des témoignages de malveillance et de colère, à l’exception toutefois de M. de Chantelauze, dont la physionomie maladive, l’air exténué, inspirèrent le respect et la pitié. L’apparition de M. de Polignac souleva, malgré la dignité de son attitude, de violens murmures qui se changèrent en vociférations quand M. de Peyronnet se présenta, le chapeau sur la tête, le regard provocateur, exprimant la morgue et le dédain qui lui étaient habituels. Un garde national le coucha en joue en criant : — A genoux, le misérable qui a fait tirer sur le peuple, et qu’il demande pardon! — On éloigna ce furieux; mais à ces traits les signataires des ordonnances durent reconnaître combien la population de Paris était exaspérée contre eux.

Le lendemain, dans la matinée, la garnison du château se mit sous les armes pour recevoir les délégués de la commission parlementaire, chargée de se prononcer sur la mise en accusation des ministres, qui venaient procéder à un premier interrogatoire. Bientôt deux voitures escortées de gendarmes entrèrent dans la cour amenant