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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/161

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celui du second en arrière. Sans doute l’Évangile ne prétend pas rompre avec la tradition qui le précède, il veut bien plutôt en être le prolongement, pour ainsi dire, l’épanouissement ; mais cet épanouissement lui-même n’est que la condition préalable du royaume de Dieu qui n’est pas encore venu, qui viendra. De même, l’islam est en réalité bien plus novateur qu’il ne veut bien le dire, mais il s’en défend de son mieux. Si l’histoire du monde eût dépendu de lui, l’humanité ne serait jamais sortie de l’état d’Abraham le nomade, poussant devant lui ses troupeaux sous le regard du Tout-Puissant.

Tout le reste vient de là. Notre besoin de perfectionnement, notre désir, quand nous souffrons, de remonter à la cause du mal pour le guérir en la supprimant, notre instabilité, nos variations d’idées, nos révolutions sociales, tout cela est incompréhensible pour le musulman. Sa seule idée bien claire en matière sociale, c’est que les vrais croyans doivent être les maîtres, qu’ils sont conquérans de droit divin, que les populations non croyantes sont faites pour leur être soumises, et que par conséquent le chef des croyans doit être un empereur gouvernant militairement, c’est-à-dire despotiquement, les états conquis par l’épée des fidèles. Nous verrons ce qu’il adviendra de cette constitution qu’en un jour de détresse la diplomatie turque a inventée pour payer l’Europe en monnaie courante. Pour peu qu’ils la connaissent et la comprennent, les musulmans en masse auront dû la trouver bien étrange, si ce n’est scandaleuse au premier chef. Si réellement elle garantit l’égalité des droits et des charges entre les croyans et les infidèles, elle est le contre-pied le plus paradoxal qui se puisse imaginer de ce qui, depuis l’hégire, forme le fond intime de la conscience musulmane.

Il ne faut donc pas se faire illusion : l’islamisme, en tant que religion, peut et doit être apprécié plus favorablement qu’il ne l’a été par les chrétiens des siècles passés. Il peut même, dans certaines conditions de race et de climat, l’emporter sur les autres religions par son action bienfaisante et moralisatrice. Mais, religion par son principe même inférieure au théisme chrétien, il restera le partage des peuples inférieurs eux-mêmes et reculera partout, comme il l’a fait toujours, lorsque des races désormais mieux exercées pour la lutte sociale, animées de l’esprit de progrès, se répandront sur les territoires soumis à sa domination. Tout ce qui ne peut marcher finit par tomber, l’histoire de l’humanité est inconciliable avec l’immutabilité, et par conséquent l’avenir est au mouvement.


ALBERT REVILLE.