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sa vie ne lui appartient plus. Après quelques semaines, Edgar Quinet et Minna More sont fiancés. Vont-ils se marier bientôt ? Pas encore. La famille de Charolles a des objections à faire. Est-il prudent de s’engager ainsi avant d’avoir assuré son avenir ? La fiancée n’est pas riche, le fiancé ne peut compter que sur le produit de son travail. Quinet s’empresse de rassurer sa mère. Ses futurs parens de Grünstadt (c’est la petite ville du Rhin où M. More est pasteur) n’ignorent absolument rien de ce qui le concerne. On sait qu’il est pauvre, qu’il travaille, qu’il veut se faire une position, et on a confiance qu’il y parviendra bientôt. « Je ne songe pas du tout, écrit-il, à unir une femme à ma destinée, tant que ma destinée restera ce qu’elle est ; mais je suis persuadé que la sérénité, la douce et profonde paix d’une âme telle que je l’ai trouvée, convient à ma vie. Tu t’en effraies, ma bonne mère, et tu en as bien le droit. Mais d’abord tout prend ici un caractère plus reposé, plus patient qu’en France. Ma première parole a été de déclarer mon état précaire, ma vie de pélican sur le toit. Nous nous voyons à grand’peine une fois par mois ; je ne fais pas souvent le voyage, bien que les occasions soient faciles et naturelles si je voulais. Nous nous sommes rencontrés pleins de sympathie et de résignation ; mais repousser pour mon avenir l’espérance d’animer, de rajeunir ma solitude, c’est là un stoïcisme dont je ne me sens pas capable. »

Quel sera donc le travail qui lui permettra d’assurer le repos et la dignité de son foyer ? M. Cousin lui écrit les lettres les plus amicales, le presse d’envoyer son Herder au ministre de l’instruction publique, lui fait espérer une nomination de professeur d’histoire ou de philosophie à Paris. Sur ces entrefaites, une occasion plus belle se présente. Une commission de savans va être envoyée en Grèce, à la suite de l’expédition de Morée ; on a prononcé le nom de Quinet, et, s’il accepte, sa nomination est sûre : quelle tentation ! Ce n’est pas la jolie fiancée de Grünstadt qui le retiendrait, elle lui dira plutôt de partir s’il doit bientôt rapporter du pays de Sophocle et de Platon les nouveaux titres qui abrégeront le temps des fiançailles. Il part donc, encouragé par Minna. Ainsi, dans les anciens poèmes, le jeune chevalier en route pour la terre sainte apercevait toujours à la fenêtre gothique une blanche image qui le protégeait de loin.

Cette terre de Grèce pour Edgar Quinet, c’était bien la terre-sainte. Il partageait tous les enthousiasmes de l’époque. Avec quelle piété il évoquait la Grèce antique, la Grèce des philosophes et des poètes, si étroitement unie à la Grèce des pallikares ! Si les lettres qu’il écrit de Navarin et de Modon, d’Athènes et d’Egine, nous donnent peu de renseignemens sur ses aventures de chaque jour, ses