Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et les descriptions de toilettes aussi minutieuses que celles d’une gazette des modes tiennent trop de place.

Nous conseillons aussi à Ouida de renoncer aux emprunts parfois défigurés qu’elle fait volontiers à la langue française. Un livre, qu’il soit sérieux ou frivole, doit être écrit tout entier dans la même langue ; or elle sait donner à la sienne un tour assez original, assez souple, assez nouveau, pour dédaigner tels bariolages franco-anglais, auxquels les écrivains d’une valeur réelle n’ont jamais eu recours qu’avec beaucoup de discrétion. Ces taches, ces imperfections de détail s’effaceront le jour où Ouida aura consenti à pratiquer dans son œuvre un travail d’élagage en supprimant les broussailles importunes à travers lesquelles on n’avance qu’à grand’peine, en donnant çà et là, par des éclaircies habilement ménagées, de l’air et du jour. Alors les pesantes citations, les catalogues de bibelots, les minutieuses descriptions de toilettes, les longueurs des dialogues et des monologues plus désagréables encore, les dissertations pédantesques, les commentaires inutiles tomberont d’eux-mêmes ; la plume de l’auteur en fera justice. Nous savons que ces sacrifices sont pénibles, qu’on n’arrive pas sans effort à se critiquer soi-même, mais il est digne de l’auteur des Deux petits Sabots de ne pas se contenter de l’encens banal d’une presse peu éclairée qui la loue sans réserve. Elle est femme, elle exerce une hospitalité charmante, ses dîners sont célèbres ; que de périls court un artiste dans ces conditions ! que de motifs pour qu’il recueille la flatterie au lieu de la vérité ! Ce langage sévère de la vérité, nous oserons le parler cependant une fois de plus au brillant romancier, avec l’espoir qu’il y verra une marque de l’estime que nous inspire son talent, auquel il ne manque qu’une chose, le contrôle d’une main ferme, l’ordre, la règle, ce que M. Forgues a nommé excellemment « la domination de l’homme sur l’œuvre. »

Ouida, il est vrai, a déjà répondu à nos reproches de diffusion : « Il me semble n’avoir jamais dit sur un sujet tout ce que j’avais à dire. » Qu’elle réfléchisse qu’en écrivant trois volumes de plus elle ne croirait pas encore avoir tout dit, car il s’agit non pas de dire beaucoup, mais de dire juste. Les caractères, les événemens, les traits heureusement frappés n’ont de relief qu’à la condition de ne pas disparaître sous des ornemens superflus.


TH. BENTZON.