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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/549

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non-seulement possible, mais inévitable, qu’il fût dominé par elle. » Ce tableau de la cour romaine serait incomplet si l’on n’y ajoutait une esquisse des mœurs des cardinaux. Plusieurs appartiennent aux plus grandes familles de l’Italie, aux Médicis, aux d’Este, aux Sforza, aux Colonna, aux Trivulce, aux Orsini, aux Grimaldi, aux Savelli ; d’autres à des familles plébéiennes de la plus basse extraction et ceux-ci ne sont arrivés à la pourpre que par leur mérite ou leur industrie : tels sont les Spada, les Sacchetti, les Panzirolo, les Barberini, et tant d’autres. En vertu du principe d’égalité que l’église n’a cessé de faire prévaloir dans ses choix, le fils d’un portefaix, dès qu’il est parvenu au cardinalat, marche l’égal des plus grands princes du sacré-collège, et s’il est homme de tête, comme un Panzirolo, fils d’un simple tailleur, le pape en fait son premier ministre sans soulever un seul murmure autour de lui.

La plupart des cardinaux appartiennent soit à la faction d’Espagne, soit à celle de France, soit à celle de l’empereur, lors même qu’ils sont d’autre nation que celle dont ils défendent les intérêts. Ils louent leurs services comme de vrais condottieri, ils arborent au-dessus de la porte de leurs palais ou de leurs maisons les armes du souverain qu’ils représentent et touchent de lui une pension. Le plus souvent cette pension n’est pas payée ou l’est fort mal; alors, sans la moindre vergogne, le cardinal lésé passe au service d’une autre faction qui le paie, ou le paie mieux, et il vote dans le conclave pour le candidat contre lequel peut-être il a combattu la veille. Il est juste d’ajouter que nombre de cardinaux, les uns riches et nobles, d’autres pauvres et roturiers, gardent avec dignité une complète indépendance et se montrent inattaquables sous le rapport des mœurs et de l’intégrité. C’est un spectacle consolant de voir, au milieu de cette corruption profonde, des hommes tels que les Lanti, les Maculano, les Ludovisio, les Cibo, les Roma, les Caraffa, les Cherubini, les d’Este, les Montalto, les Macchiavelli, les Donghi, et tant d’autres encore, sous ce pontificat et les suivans, rappeler par leur piété, leur charité, leur vie exemplaire, les premiers âges du christianisme. Mais la plupart des cardinaux, issus de grandes familles, vivent comme des seigneurs du moyen âge, dans la dernière licence ; ils ont des palais somptueux, de riches galeries de tableaux, nombre de valets et de carrosses tout chamarrés d’or; ils passent joyeusement leur temps à la chasse, dans les festins, au jeu, à la comédie, dans les aventures galantes, ils se plongent dans toutes les délices que la Rome antique a léguées à la Rome moderne. L’un d’eux, le cardinal Maidalchini, enlève de force la fille d’un pâtissier d’une beauté extraordinaire et la séquestre dans sa villa. Un autre, le cardinal Antoine Barberini, entretient ostensiblement