Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écouté et lui inspirait toutes les mesures de salut qui préservèrent la prison. L’heureuse influence qu’ils exerçaient sur le directeur trouva promptement une occasion de se manifester : aussitôt après l’arrestation des généraux Chauzy et de Langourian, le secteur avait envoyé quatre délégués qui devaient rester en permanence à la Santé pour s’assurer constamment de la présence des prisonniers d’état et prendre toutes mesures afin d’éviter qu’ils ne s’évadassent[1]. Les généraux avaient été relaxés, mais les délégués, qui ne se trouvaient point mal à la prison, où ils n’avaient rien à faire, restaient imperturbablement et ne s’empressaient point de reprendre le service militaire. Les greffiers, dans une conversation familière avec Caullet, lui firent comprendre que la présence irrégulière et actuellement sans motifs de ces délégués était un outrage permanent à son autorité et qu’il était de son devoir, de sa dignité, de les renvoyer au secteur d’où ils étaient venus. Caullet, pour mieux conduire cette négociation, emmena les délégués chez le marchand de vin, leur paya largement à boire, les attendrit suffisamment et réussit à en débarrasser la maison. De ce moment, les greffiers et les surveillans s’entendirent pour laisser quelque liberté aux otages ; la porte de leur cabanon ne fut plus trop rigoureusement fermée, ils purent communiquer entre eux et se promener ensemble dans les couloirs. On avait promptement remarqué qu’il y avait deux hommes dans Caullet, l’homme du matin et l’homme du soir. Celui du matin était débonnaire, facilement amené aux bonnes inspirations, car il était à jeun et livré à lui-même ; celui du soir était tout autre, il faisait de l’autorité à tort et à travers, il allait s’assurer si les détenus étaient bien « bouclés » dans leur cellule, il parlait des incomparables destinées que la commune préparait à la France, il disait : « Soyons fermes, brisons la réaction ! » C’est qu’il avait le vin mauvais, comme l’on dit, et qu’il revenait de la préfecture de police, où il avait pris les ordres de Raoul Rigault.

Ce pauvre Caullet éprouva une déconvenue qui lui fut pénible. Il avait senti la nécessité d’affirmer aux yeux de tous son titre de directeur et d’en porter ostensiblement les insignes, il disait les enseignes, Il alla chez un des meilleurs chapeliers de Paris et se fît confectionner un képi, un beau képi de commandant, à quatre galons. La facture s’élevait à 24 francs ; il réfléchit que la commune s’était engagée à faire le bonheur du peuple et que son bonheur

  1. « Ordre au directeur de la prison de la Santé d’admettre les quatre délégués du comité central du XIIIe arrondissement pour exercer une surveillance spéciale sur les deux généraux et autres officiers enfermés dans ladite maison, et de n’entraver en rien leur surveillance, faute de quoi il aurait à répondre devant le comité de la garde nationale. » — Pas de signature, pas de date, mais le timbre : État-major de la garde nationale. XIIIe arrondissement.