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I.

La sensation gustative n’est pas une sensation simple, ou du moins elle se compose de plusieurs élémens que l’analyse permet de démêler. Ainsi l’odorat se confond avec le goût, en sorte que la plupart des substances sapides deviennent insipides", si on empêche la muqueuse nasale d’être excitée par les émanations volatiles de ces substances. Le beurre, le lait, le vin, paraîtront dénués de saveur, et on ne pourra plus guère distinguer que des saveurs sucrées et des saveurs amères. A vrai dire, c’est à cela que se borne le sens du goût proprement dit, car les autres sensations gustatives sont des sensations tactiles ou des sensations générales : par exemple, quand on met sur la langue une goutte d’ammoniaque, on éprouve une sensation de cuisson et de chaleur qui relève de la sensibilité générale de la muqueuse linguale; de même, si on prend du sucre pulvérisé, la sensation de pulvérulence est une sensation tactile, et la saveur sucrée appartient seule au goût proprement dit. Placé ainsi à l’entrée du canal alimentaire, le sens du goût a une importance fondamentale dans les fonctions digestives. C’est une sentinelle vigilante qui, selon qu’elle sera satisfaite ou mécontente, permettra ou refusera l’entrée des alimens.

En effet, par le contact avec certaines substances, les nerfs du goût sont excités de telle sorte qu’ils provoquent une action réflexe immédiate qui expulse violemment les alimens ingérés. Il y a, dans le vomissement provoqué par la gustation d’une substance qui répugne, plusieurs actions nerveuses dont la conséquence est l’expulsion brusque, involontaire, réflexe de tout aliment nauséabond; cependant cette action instinctive est accompagnée d’une perception. Une fois parvenue dans la moelle épinière, il semble que l’excitation nerveuse suive un double sens : d’une part elle descend dans la moelle pour faire naître la contraction des fibres musculaires de l’estomac, d’autre part elle monte dans le cerveau et y provoque une sensation particulière, qui est le dégoût. Tel est donc le sens physiologique du mot dégoût. C’est la perception d’une excitation qui agit sur le nerf pneumogastrique de manière à amener le vomissement; toutefois, si l’excitation est faible, il peut n’y avoir ni nausée ni vomissement, mais il y a encore du dégoût. Le langage a gardé le même terme pour toutes ces perceptions qui ne diffèrent que d’intensité. — Si l’excitation est plus forte, au lieu de se limiter au pneumogastrique, elle s’irradie, et porte sur presque tout le système de la vie organique. La face pâlit, les muscles lisses de la peau se contractent, la peau se couvre d’une