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sociabilité et sa capacité de travail qui en font un utile serviteur, sa sensibilité charnelle qui, suppléant en lui à l’intelligence, le rend susceptible de piété et de religion. Quand on lit au contraire les récits que tous les voyageurs font des aborigènes australiens, il semble qu’on lise une série d’observations se rapportant à une espèce particulière d’animal et n’intéressant que l’histoire naturelle. Ce que Buffon raconte du loup qui ne peut jamais être apprivoisé est réalisé par ces aborigènes. Même quand il est pris à la mamelle et élevé au sein, de la société, le sauvage reparait dans le noir australien dès que l’âge adulte est arrivé ; alors le bush l’emporte inévitablement sur le logis du squatter, et l’instinct de la vie errante sur les habitudes de bien-être et de sécurité. D’ordinaire les races mixtes forment des populations perverses, mais jalouses de civilisation, en tout cas plutôt envieuses de se rapprocher de la condition paternelle que de redescendre à la sauvagerie maternelle ; il n’en est pas ainsi, paraît-il, des races mixtes australiennes, chez qui l’instinct sauvage l’emporte au contraire sur la part de leur être qui a été fournie par la civilisation, et l’on se rappelle encore ce que Buffon raconte de ces races issues de chiens et de loups, qui en dépit du croisement redeviennent loups au bout d’une ou deux générations. L’Indien est rebelle à la civilisation non-seulement par préférence innée pour la vie sauvage, mais par parti pris d’antagonisme : il la repousse plus encore parce qu’il la hait que parce qu’il l’ignore ; mais le natif australien la contemple sans la comprendre, et reste impénétrable à ses influences moins par inimitié que par impuissance radicale de nature.

Pillards et voleurs avec impudence, mendians avec effronterie, maltraitant leurs femmes et les vendant comme les Peaux-Rouges, de toutes les choses que la civilisation leur a présentées, ils n’ont jamais désiré que celle qu’elle leur refuse, les boissons enivrantes. Faut-il ajouter encore le cannibalisme à l’actif de leurs vices, et sont-ils réellement anthropophages ? Sauf aux environs du détroit de Torrès, où ils le sont absolument, il semble bien que, même dans le nord de la colonie de Queensland, où la civilisation n’a pas encore eu le temps de les dépouiller de leurs malfaisantes énergies, ils ne le sont que par intermittences, par places et par occasions. Une de ces occasions est trop originale pour ne pas être rapportée. Les aborigènes sont singulièrement friands du fruit de l’arbre bunya-bunya, mais cet arbre ne donne de récolte abondante qu’une année sur trois, et le district où il croît dans Queensland est si restreint qu’il est tout entier en la possession de quelques tribus. Lorsque l’année est bonne, les tribus étrangères au district ont permission d’y venir en manger leur part, et elles accourent des régions les plus éloignées. Comme ce fruit est un farineux de qualité