Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Basques, au béret de couleur, la ceinture de laine rouge à la taille, les culottes serrées au genou, l’Espagnol, le Portugais, à la peau bronzée, à l’air sérieux, peu communicatif, tranchent sur le type girondin. Ce type est celui des négocians de la place. On trouve en eux comme un reflet des idées généreuses, libérales, auxquelles les députés de la Gironde, en 1793, sacrifièrent tout, même leur vie. C’est ici que le libre échange pour la première fois a pris corps de doctrine en France ; c’est ici que Bastiat, sorti de Bayonne, l’a défendu par des écrits qui ne passeront point. Les idées britanniques en matière commerciale sont d’ailleurs depuis longtemps familières au Girondin ; il les a comme épousées d’avance, à l’époque où l’Anglais dominait dans la Gascogne et la Guienne et respectait les franchises de Bordeaux, et plus tard par une sorte d’agrégation naturelle, qui, à diverses reprises, a mêlé le sang anglais au sang gascon.

Une des premières maisons de commerce de la place, celle des Johnston, compte près d’un siècle et demi d’illustration commerciale. Elle a été créée vers le milieu du XVIIIe siècle par un Anglais qui est venu s’établir à Bordeaux pour y faire le commerce des vins. Les Anglais sortis de cette souche sont insensiblement devenus Français, mais ont conservé des relations suivies avec leur pays d’origine, ne fût-ce que par besoin d’échange. Ce n’est pas sans une certaine émotion que, dans les bureaux du chef actuel de cette maison importante, nous avons salué les différens portraits de ses aïeux. Ils étaient là tous, depuis le chef de la dynastie bordelaise jusqu’au prédécesseur du titulaire actuel, comme pour lui rappeler, ce dont il n’avait pas besoin du reste, que l’assiduité au travail et la loyauté dans les affaires sont les plus sûrs garans de réussite et le meilleur moyen de consolider une maison. Aujourd’hui où tout change si souvent et si vite, et où l’ancienne stabilité a fait place à une mobilité dangereuse, cet exemple est bien rare en France d’une raison de commerce qui existe depuis cent cinquante ans dans la même famille, avec le même nom.

Cette honorable maison des Johnston n’est pas la seule d’origine étrangère qu’on pourrait citer à Bordeaux. Par la nature même du commerce de ce comptoir, des Américains, des Allemands, des Belges, des Hollandais, sont venus tour à tour s’y établir. Des Portugais, des Espagnols, ont été aussi de tout temps attirés par la proximité où est ce port de la péninsule ibérique, et par le besoin d’échapper aux persécutions religieuses. En général, la plupart de tous ces émigrés, partis d’assez bas, sont passés bientôt au premier rang des maisons bordelaises ; mais ces cas sont encore assez rares, et Bordeaux est loin d’avoir le caractère cosmopolite qui est