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des instrumens les plus efficaces des prodigalités de l’aristocratie. Combien de fois ne la vit-on pas ruinée par ces abus de la liberté de tester, laquelle avait précisément pour objet de la préserver en la perpétuant ! Rien ne contribua plus au luxe que cette indifférence de possesseurs désintéressés pour les perfectionnemens du sol qui ne devaient fructifier qu’au profit d’un avenir éloigné. La démocratie, par le fait même du travail libre et de l’épargne mobilière, qui se porte vers les acquisitions territoriales, divise le sol, qu’elle subdivise encore par la loi de succession. Il est infiniment remarquable qu’aujourd’hui, même dans les pays qui sont régis monarchiquement ou aristocratiquement, la petite propriété gagne du terrain à mesure que la liberté civile s’y accroît. Rien n’est plus capable de modérer le luxe, battu en brèche par l’exiguïté de la possession et par les nécessités d’économie que la propriété foncière exige dans de telles conditions.

On ne tombe pas aussi aisément d’accord que l’industrie ait en grande partie les mêmes effets, et c’est à tort selon nous. Sans doute il s’est opéré un mouvement de concentration qui a créé un certain nombre de grands capitalistes. Il a fait naître un luxe nouveau. Ce luxe peut avoir et offre en réalité des côtés dignes d’approbation, il présente aussi des défauts graves. Il résulte souvent de fortunes rapides et risque de porter dans le goût un certain manque de délicatesse et d’élévation. Mais la concentration est le fait exceptionnel. Les sombres prophéties, qui nous annonçaient de « hauts barons de l’industrie, » tenant le travail à l’état de servage, l’exploitant sans merci, l’empêchant d’arriver à l’aisance, ne se sont pas réalisées. Bien que l’auteur de la Démocratie en Amérique ait eu le tort, selon nous, de s’en rendre l’organe, elles ne figurent guère que dans le langage outré de ces réformateurs absolus, qui attaquent la liberté même du travail et les conditions vitales de la puissance des capitaux. En somme, on peut dire que, depuis cinquante ans qu’on a prédit ce fléau, la crainte s’éloigne de voir naître toute une classe qui renouvelle les fastueux excès des anciennes sociétés. Ce qui domine, c’est la diffusion des capitaux, qui font bonne défense et se mêlent, sans s’y perdre, aux grosses agglomérations qu’a enfantées le crédit. Les moyennes et les petites fortunes s’échelonnent en grand nombre, ne laissant place qu’à un luxe relatif et d’une faible étendue. Il en sera ainsi, du moins tant que les causes morales, dont j’aurai à dire un mot, ne viendront pas rompre un équilibre qu’impose la médiocrité même des richesses mobilières, divisées entre des mains plus occupées d’ordinaire à les accroître qu’empressées à les détruire par des désirs déréglés.

Un autre effet, de l’industrie sur le luxe dans les sociétés