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beaucoup au rapprochement des législations. Mais les différens pays ne s’avancèrent point d’un pas égal dans la voie des modifications et des transformations que leurs lois pénales devaient subir.

Comme les peuples ne se dégagèrent pas simultanément des liens de la féodalité, comme chez eux le passage de l’ancien ordre de choses au nouveau s’opérait différemment, le système originel de pénalité et de procédure criminelle subsista plus ou moins longtemps dans telle ou telle application, suivant le génie particulier de la nation, suivant les circonstances qu’elle traversait, suivant son attachement plus ou moins grand à ses antiques coutumes. S’il s’établit entre les jurisconsultes de toute l’Europe un échange d’interprétations et de doctrines d’où sortit un ensemble de principes ayant eu sur la législation criminelle une action puissante, les habitudes et les traditions opposèrent à cette influence une résistance avec laquelle les gouvernemens durent compter, en sorte que bien souvent l’enseignement des jurisconsultes fut fort en avant de la pratique des tribunaux. Les préceptes de l’église, comme les ordonnances des souverains, vinrent se briser contre de vieilles coutumes et des préjugés obstinés. Le progrès fut donc pendant longtemps singulièrement ralenti, ici par les habitudes du vulgaire, là par les idées du législateur qui aggravait la sévérité de la loi dans la pensée d’affermir ainsi l’ordre et l’autorité du magistrat. Il resta, dans une grande partie de l’Europe et dans notre patrie en particulier, un fonds de dureté et d’injustice en matière de législation criminelle qui contrastait avec les enseignemens de la religion et l’empire absolu qu’elle semblait partout exercer. La société, toute chrétienne qu’elle fût, n’était pas parvenue avant la révolution française à se débarrasser de certaines pratiques judiciaires iniques ou féroces. On s’étonne de trouver au sein de mœurs si élégantes et si policées, d’une culture déjà si avancée, un reste de barbarie qui persistait tantôt dans les sentimens et les idées, quand il n’était plus dans les lois, tantôt dans les lois, quand il n’était plus dans les mœurs et les idées.

Le propre de la barbarie, c’est la prédominance de la force brutale ; non-seulement elle y prime le droit, mais elle le constitue, car le droit chez les peuples tout à fait barbares est en raison de la puissance matérielle dont chaque individu dispose. S’agit-il de décider entre deux parties adverses qui ne peuvent s’entendre, c’est à la force qu’on recourt ; on se déclare la guerre, on se provoque dans un combat singulier. Chez les barbares, le puissant écrase le faible ; tout est à l’avantage du premier, et le droit se fait peu à peu à son profit. L’esclave est à la merci du maître ; la femme n’est pas protégée contre les sévices de son époux ; le pauvre est victime